Le concept d'écriture euphonique propose d'obtenir un texte littéraire dont la lecture - orale ou subvocalisante (en lecture intérieure) - apparaisse la plus congruente possible à l'oreille et à l'esprit. Ce concept peut concerner tous les genres en prose et poésie, mais il est particulièrement adapté aux textes à tendance poétique ou esthétisante.
Cet exposé représente, de la part d'un auteur-déclamateur, un témoignage à l’attention de tous ceux qui pourraient s'intéresser à l'aspect euphonique de l'écriture et voudraient éventuellement à leur tour s'y essayer.
L'écriture euphonique appliquée à la prose, sur de nombreux aspects, se rapproche de l'écriture poétique. Néanmoins, elle s'en distingue sur le plan métrique, ce qui lui confère sa spécificité par rapport à cette dernière.
En dernier lieu, les parties Compléments associées généralement à la fin des chapitres peuvent contenir des éléments statistiques susceptibles d'éclairer l'analyse.
La langue française présente sur le plan euphonique des inconvénients notables, quoique ces défauts ne soient pas totalement spécifiques à cette langue. L'inconvénient majeur tient certainement au traitement oral des interfaces lexicales (entre les mots) - et parfois au niveau intra-lexical (à l'intérieur de certains mots) - par la présence des e caducs (nommés anciennement muets) et des liaisons. Il s’ensuit parfois, voire souvent, dans le cas de la prose, une indétermination de la prononciation. Il s'y ajoute l'indétermination des arrêts temporels consécutive, notamment, d'une interprétation problématique de la virgule. Ces difficultés, nous semble-t-il, peuvent être largement amoindries par une écriture littéraire plus convenante, néanmoins génératrice de contraintes. L'écriture euphonique a l'ambition d'y prétendre.
Il apparaît également que l'indétermination orale est un obstacle à l'affirmation exacte de l'idée exprimée par l'auteur, en particulier sur le registre de langage qu'il veut communiquer.
Avantages de la langue française
En revanche, la langue française possède un avantage appréciable pour la recherche d’euphonie en raison de sa très grande diversité de phonèmes (surtout vocaliques). Ces phonèmes, distribués selon une proportion entre sons vocaliques et consonantiques favorable, se caractérisent par leur extrême netteté, leur absence de rudesse (pas de sons gutturaux marqués, r à prononciation très douce...) ainsi que par leur fluidité, toutefois si l’on se livre à l'évitement des cacophonies de contiguïté. La langue française n’occasionne pas d’occurrences insistantes sur certains phonèmes qui risqueraient d’engendrer une trop grande monotonie, si toutefois l’on parvient à gérer la présence des e caducs. L'absence d'accents toniques marqués, dépourvus de musicalité, a été très critiquée. Il nous semble au contraire, en poésie comme en prose, que la discrétion des accents toniques communique à la langue française son ton de noblesse spécifique. Comparée à elle, tout autre langue apparaît plus ou moins comme une langue du terroir.
GÉNÉRALISATION DES LIAISONS
Nous devons en premier lieu considérer les liaisons car elles interviennent dans l'étude des cacophonies. La liaison constitue une caractéristique permettant d'éviter la contiguïté de 2 voyelles au niveau d'une interface inter-lexicale (entre les mots) et constitue ainsi un élément d'euphonie fondamental. Nous sommes donc amenés à préconiser pour la prose comme en poésie la prononciation de toute liaison possible. C'est à l'auteur d'éviter les situations de liaison incongrues selon son jugement et d'éviter également les cas où la liaison peut engendrer une cacophonie.
Une cacophonie (du grec κακός: mauvais, φωνή: voix, son) peut être définie le plus simplement possible comme un son désagréable à l'oreille. Cette notion est purement subjective et ne relève donc pas de la linguistique en tant que science du langage.
Les cacophonies sont de nature et d'effet très variables. De ce fait, elles sont difficiles à définir sur le plan analytique. L'exemple suivant (sur 2 heptasyllabes), comparé à sa version euphonique approchée, le montrera significativement (en gras les parties entraînant un effet cacophonique):
-Version cacophonique
Dans son bonheur, l’empereur A oublié ses soucis.
-Version euphonique approchée
Dans sa joie, le souverain
Put oublier ses tourments.
L'on peut distinguer, d'une part les cacophonies concernant des syllabes en contiguïté (par exemple a ou de A oublié, s de soucis), d'autre part les cacophonies dispersées (par exemple eur de bonheur et empereur. Néanmoins, cette classificaiton basique demeure une commodité en partie arbitraire.
CACOPHONIES DE CONTIGUÏTÉ: MODALITÉS
Elles apparaissent principalement au niveau des interfaces lexicales (entre les mots).
Il est difficile de comprendre pour quelle raison de telles rencontres nous apparaissent gênantes dans la mesure où de semblables conformations sonores peuvent se trouver à l'intérieur des mots. Il semble que le caractère fortuit et donc anormal ou injustifié de la rencontre inter-lexicale nous heurte alors que nous la considérons généralement comme normale en position intra-lexicale.
Sur le plan analytique, en simplifiant, notre expérience nous conduit à considérer qu'une cacophonie est engendrée par toute consonne identique dans les 2 syllabes contiguës au niveau de l'interface (en assimilant certaines consonnes proches: z et s, t et d). Concernant les voyelles, on considérera que la cacophonie est engendrée essentiellement lorsque ces voyelles, identiques ou non, se trouvent directement en contact. Ces définitions ne sont pas absolues et s'appuient sur la seule subjectivité.
la lune (cacophonie consonantique en l)
coteau élevé (cacophonie vocalique en o é)
D'une manière générale, la rudesse d'une cacophonie dépend de la nature des éléments concernés (type de consonne ou voyelle), de leur nombre (pour les consonnes), de l'intercalation d'autres phonèmes entre ces éléments, de leur proximité temporelle.
Concernant ce dernier facteur, l'effet négatif est amoindri par l'existence d'une pause, mais reste perceptible, en particulier entre la fin d'un vers et le début du suivant pour la poésie. En revanche, on pourra considérer que cet effet négatif est très peu perceptible entre les mots séparés par un paragraphe.
La fluidité générale du discours dépend également du pourcentage de rencontres consonantiques par rapport aux successions mixtes consonne voyelle, en dehors de toute cacophonie caractérisée. Il n'importe sans doute pas d'abaisser ce rapport, ce qui priverait la langue de tonus, mais d'éviter spécifiquement les cacophonies inter-lexicales.
Considérons les principaux types de cacophonies de contiguïté dans le cas général d'une interface sans pause.
CACOPHONIES DE CONTIGUÏTÉ SUR INTERFACE SANS PAUSE
consonantique indirecte:débris cramés - chose usée (par élision) - fragment entier (par liaison) - volatile ou léger (par élision sur plusieurs interfaces)
consonantique directe:il lui dit - sort rigoureux - bloc compact
syllabique:le domaine ne sera pas limité - venant en tandem (par liaison) - d'or d'ordinaire (par liaison sur plusieurs interfaces)
hétérovocalique:épée acérée - venu aussitôt
homovocalique:tenue unique - panneau opaque
succession e post-accentuel, e médio-tonique (cas où les voyelles: e, ne sont pas contiguës):
fleuve de boue - parole retirée
liaison incongrue:
La nuit d'un coup arriva
syllabe re (cas spécial d'une cacophonie engendrée par la seule conformation du premier mot de l'interface, en cas de prononciation du e post-accentuel)
la Nature divine
CAS PARTICULIERS DES CACOPHONIES DE CONTIGUÏTÉ AU NIVEAU D'UNE PAUSE
En cas d'intercalation d'une pause (cas de ponctuations signifiant un arrêt plus ou moins long ou fin de texte), les interfaces dont le premier terme est une consonne brute ou un e post-accentuel acquièrent des propriétés particulières:
Nous jouons à la balle. (terminaison par e ammui)
Nous adorons le bal. (terminaison par le son l)
Ces conformations en e ou en consonne sont phoniquement peu distinctes, voire identiques. Elles peuvent être légèrement distinguées si le lecteur essaie de prolonger volontairement un peu le e dans le premier cas (e ammui asthéno-tonique: faiblement prononcé), ce qui est conseillé, surtout en poésie.
Dans les 2 cas, le mot se termine par un son ressemblant, suivant le type de consonne, à un chuintement, un claquement, un chuchotement, un sifflement. Sur le plan de l'étude des cacophonies qui nous intéresse, ces 2 terminaisons sont assimilables à des pseudo-voyelles, que ce soit le e ammui prolongé volontairement ou le résidus sonore engendré par la consonne brute.
En cas de pause, sur le plan euphonique, ces 2 terminaisons occasionnent des pseudo-cacophonies vocaliques, légères, mais sensibles si la deuxième syllabe de l'interface est une voyelle.
Allons au bal. Ainsi distrayons-nous. (cas C.V incongruent)
Jouons à la balle. Ainsi distrayons-nous. (cas C.V incongruent)
Pour éviter cet inconvénient, tout syntagme précédant un arrêt temporel doit commencer par une consonne:
Allons au bal. Distrayons-nous. (cas C.C congruent)
Jouons à la balle. Distrayons-nous. (cas C.C congruent)
On peut résumer les cas d'interface sur pause par le tableau suivant:
Les cacophonies dispersées sont des homophonies parasites, difficilement analysables, mais la plupart restent peu perceptibles, hors celles relatives à 2 mots successifs.
Cacophonie sur le début ou la finale de 2 mots successifs
Une des plus typiques est la répétition d'un même son en début de mot ou en fin de mot sur 2 mots consécutifs (sauf effet très spécifiques volontaire). L'effet négatif est cependant moins net dans le cas d'une voyelle.
Le savant cynique (répétition de s en début de mot)
Le savant pédant (répétition de en en fin de mot)
Le savant curieux (aucune répétition)
Apparentée à ce type, la cacophonie générée par 2 liaisons successives sur la même consonne. Nous retiendrons cette dernière seule comme préconisation importante.
les humains épuisés
successions de e post-accentuels (en cas de prononciation du e post-accentuel):
la grande table rouge
échos incongrus de syllabes non post-accentuelles
L'empereur de jour en jour empire.
Cacophonie dispersée et position
En poésie, l'effet négatif des cacophonies dispersées est surtout sensible si elles occupent des positions non correspondantes et stratégiques dans le vers, comme le montre l’exemple suivant:
L’on vit alors aux cieux, briller l’homme de Romeomme et ome cacophonie disjointe
L'automne dans ces corps, paralysés, rongés
Verse la féerie, de ses tons fulgurants.
Quand le soleil couchant, de rayons illumine...
Homophonie: an de fulgurants et couchant, en discordance sur le plan sémantique, syntaxique et positionnel. En revanche an dans Quand passe relativement inaperçu et les 2 a de paralysés n’interfèrent pas du tout avec le a de la féérie.)
HIÉRARCHIE DES CACOPHONIES
Il est important de considérer le caractère de gravité plus ou moins marqué des cacophonies.
Les consonnes, pensons-nous, génèrent plus facilement des cacophonies que les voyelles, et surtout des cacophonies souvent plus graves. Quasiment toutes les homophonies consonantiques sur des syllabes en contact sont concernées. En revanche, plus rares sont les cacophonies vocaliques indirectes qui engendrent un effet négatif perceptible.
À éviter prioritairement, les cas difficilement prononçables de consonnes se heurtant directement, en particulier les homoconsonantismes directs (il lui dit). Malheureusement, ces cas sont relativement courants et surtout il est difficile de trouver des solutions permettant de les éviter. De même, les homo-vocalismes (il a abandonné) et les cacophonies syllabiques (ma mallette) peuvent difficilement être tolérées. Moins sévères apparaissent les cacophonies hétéro-vocaliques (il a émis).
Contrairement à la tradition qui semble, pensons-nous, avoir réalisé une fixation exagérée sur les cacophonies vocaliques, nous considérons que les hétéro-vocalismes ne sont pas les cacophonies contiguës les plus rédhibitoires. S’il est vrai que certaines langues répugnent naturellement aux cacophonies vocaliques, ce qui se traduit par des modifications convenues selon la présence de voyelle ou de consonne, il paraît difficile d’en tirer une conclusion systématique car ces palliatifs peuvent avoir difficilement leur équivalent pour les consonnes.
À partir d'un coefficient de gravité affecté à chaque type de cacophonie, nous pouvons quantifier le degré de cacophonisme de chaque texte et le comparer dans les œuvres de différents auteurs.
ÉVITEMENT DES E POST-ACCENTUELS TERMINAUX DANS LE FLUX EN PROSE EUPHONIQUE
Les e caducs (anciennement nommés e muets), lorsqu'ils sont prononcés, permettent dans la langue d'éviter les rencontres consonantiques plus ou moins abruptes (notamment sur des syllabes polyconsonantiques). Néanmoins, il en résulte de nombreux inconvénients dont voici les principaux:
-ils apparaissent comme des chevilles artificielles pour éviter les rencontres consonantiques
-la succession accent tonique e peut devenir lancinante
-ils peuvent s’accumuler localement, nécessitant de la part du lecteur une prononciation sélective parfois problématique: apocope (non prononciation) ou prononciation.
-la prononciation ou non de ces e entraîne une indétermination du texte à la discrétion du lecteur (contrairement à ce qu'il en est dans la poésie), ce qui confère au texte un certain registre de langage plus ou moins relâché, voire vulgaire, dont l'auteur n'a pas la maîtrise
-ils occasionnent un déphasage entre l'accent tonique et la limite du mot: cas des paroxytons (accents sur la pénultième) par opposition aux oxytons (accent sur la dernière syllabe) pour lesquels accent tonique et limite du mot se correspondent.
Il nous est apparu par la pratique que la seule solution pour obtenir une prose euphonique propre est d’éviter tous les e post-accentuels dans le flux, c'est-à-dire à l'intérieur des syntagmes limités par les arrêts temporels. C’est une contrainte importante, mais aucune autre solution simple ne semble satisfaisante. Dans la mesure où les cacophonies auront été évitées, cela n'entraînera pas une augmentation sensible de rencontres consonantiques gênantes.
Le bénéfice euphonique consécutif de cette préconisation apparaîtra par l'exemple suivant, que l'on apocope ou non le e post-accentuel du mot colline:
La colline fut belle.La colline est belle.
En poésie, cette préconisation d'éviter les e post-accentuels ne nous semble pas nécessaire pour les raisons suivantes:
-la place limitée, notamment dans un hémistiche, évite leur concentration locale
-ils se prononcent systématiquement dans le flux à l'intérieur d'un vers
-ils peuvent participer favorablement à la scansion, particularité propre à la poésie
Par ailleurs, on optera pour une prononciation de tous les e caducs intra-lexicaux (à l'intérieur des mots, par exemple: nullement) dans la mesure où ils n'engendrent aucun inconvénient, ce qui paraît une solution plus littéraire en évitant la rencontre consonantique de l'apocope.
Quant aux proclitiques en e ou a (mots qui reportent leur accent tonique sur le mot qui suit), par exemple: le, ce, me..., il est évident qu'ils ne doivent jamais être apocopés dans le cadre d'une lecture littéraire.
Une étude statistique montre chez les lecteurs une relative absence de correspondance entre ponctuation et pause: absence d'arrêt sur interface avec ponctuation et surtout arrêts sur interface sans ponctuation. À l'intérieur de la phrase, le taux de concordance entre virgule et arrêt temporel est de 51% (18% de virgule sans arrêt et 31% d'arrêts sans virgule). Par ailleurs, un certain nombre de ces pauses (sur ponctuation ou en dehors) se produisent sur des interfaces peu compatibles, comme nous le verrons plus loin. Le résultat sur le plan esthétique d'une lecture impliquant une correspondance totale entre ponctuation et arrêt temporel (notamment pour la virgule) ne nous paraît pas satisfaisant. L'exemple suivant en témoigne:
Une vie (Maupassant)
Une voix, derrière la porte, appela : « Jeannette ! »
Il apparaît assez nettement qu'une lecture, remplaçant les virgules par de simples inflexions vocales, apparaît plus idoine.
La virgule, selon la prescription obligatoire de l'Académie Française, implique une pause. Signalons cependant que les différents usuels en donnent une définition plus permissive, notamment le TLF (Trésor de la Langue Française), permettant au lecteur de marquer facultativement une pause. Par ailleurs, la virgule est perçue comme obligation de pause par la plupart des lecteurs (bien qu'ils n'appliquent pas toujours cette prescription).
Les virgules séparent des syntagmes relativement liés sur le plan grammatical, ce qui rend l'existence d'une pause à ce niveau difficilement compatible avec certaines interfaces (sur élision potentielle, liaison potentielle, consonne brute, e post-accentuel), engendrant alors des effets de cassure inopportuns à l'intérieur des propositions (et conjointement s'y ajoute une cacophonie vocalique ou pseudo-vocalique comme nous l'avons signalé précédemment)
La pièce est noire, exiguë. (élision potentielle: pause incompatible)
Ces fleurs sont fanées, étiolées. (liaison potentielle: pause incompatible)
Grésil, vent s'engouffrent. (consonne brute: pause incompatible)
Neige, vent s'engouffrent. (e post-accentuel: pause incompatible)
En revanche, la pause engendrée par la virgule apparaît beaucoup plus compatible avec les interfaces voyelle-consonne.
Il est averti, prudent. (terminaison vocalique: pause compatible)
Une simple inflexion vocale (notamment par accentuation tonique) sans pause apparaît plus convenable pour négocier ces interfaces incompatibles sur élision potentielle, liaison potentielle, consonne brute, permettant ainsi l'élision ou la liaison de se réaliser.
Concernant la terminaison e post-accentuel, nous l'avons exclue dans le flux pour la prose. Pour la poésie, ce cas, précisément sur liaison grammaticale correspondant à une virgule, pourrait être négocié par inflexion vocale sans arrêt temporel tout en ménageant la prononciation du e post-accentuel. Nous pensons que cette solution, possible, n'est cependant pas esthétiquement satisfaisante. Il nous paraît plus seyant de l'éviter:
Des fleurs jaunes, carmin, sur la pelouse brillent. À ÉVITER
Des fleurs indigos, bleues, sur la pelouse brillent. CONGRUENT
La virgule, signifiant une pause, ne peut être utilisée au niveau des interfaces en élision, liaison et consonne brute si l'on veut qu'elles soient négociées par une inflexion vocale sans pause par le lecteur. Il est donc nécessaire d'utiliser un signe spécifique pour indiquer les inflexions vocales sans pause.
L'inflexion vocale peut être signifiée par un signe de coupe / n'impliquant aucune pause au contraire de la virgule. Ce signe de coupe est habituellement réservé à l'analyse prosodique, nous l'étendrons à une utilisation courante sous une forme simplifiée.
-ponctuation par signe de coupe
La pièce est noire / exiguë.
-adaptation du signe de coupe par réduction et mise en exposant:
La pièce est noire' exiguë.
Outre l'évitement d'arrêts incongrus sur interface incompatible, l'utilisation de la virgule et de la coupe permettent de ménager des respirations à l'intérieur de la phrase ou d'éviter un trop grand nombre d'arrêts temporels, préjudiciables à l'euphonie. En effet, au contraire de la virgule, la coupe peut être utilisée au niveau de toute interface:
La sève' elixir des végétaux, circule au sein des limbes.
Potirons' poireaux, navets' choux, dans ce terrain facilement poussent.
L'auteur peut ainsi signifier au lecteur le rythme de la phrase qu'il souhaite. Toutefois, ce dernier conserve une certaine latitude interprétative, comparable à celle du musicien exécutant une partition notée rigoureusement.
En poésie, l'utilisation des signes de coupe et de césure apparaît obligatoire puisqu'aucune pause ne doit interrompre la continuité du vers sous peine de briser la métrique. En outre, ces signes incitent le lecteur à lire le vers de manière satisfaisante (sans s'arrêter et en marquant la césure par une inflexion vocale, notamment un appui tonique).
-en ponctuation traditionnelle:
Quelquefois, notre sort dépend d'une avanie
-en écriture euphonique:
Quelquefois' notre sort" dépend d'une avanie
Cette ponctuation ne garantit pas que le lecteur la respecte. Comme nous l'avons signalé, elle est inopérante pour éviter le nombre excédentaire d'arrêts temporels réalisés apparemment de manière stochastique par les lecteurs sur les interfaces sans ponctuation. Néanmoins, elle fournit les meilleures conditions susceptibles de permettre une lecture idoine en évitant les pauses au niveau des interfaces compatibles sur virgule selon la ponctuation traditionnelle.
Observons que le signe de coupe simplifié, qui ressemble à une apostrophe, suggère par sa morphologie une liaison des parties entre lesquelles il s'intercale. La virgule au contraire, située sur la ligne de lecture, suggère un arrêt.
Par ailleurs, cette ponctuation n'introduit aucun signe nouveau. Elle utilise au contraire des signes conformément à la prescription de l'Académie ou à la tradition universitaire. La modification concerne uniquement l'aspect graphique, ce qui ne change rien de fondamental.
Le tableau suivant résume les possibilités d'interface et leur congruence au niveau d'une liaison grammaticale à l'intérieur d'une proposition (correspondant à une virgule en ponctuation traditionnelle):
INT: type d'interface (V: voyelle; C: consonne; e: e post-accentuel; li: liaison)
Nous avons vu que l'écriture euphonique évite les arrêts temporels inappropriés sur virgule (interfaces incompatibles) grâce aux signes de coupe.
Néanmoins, il est nécessaire que l'auteur veille à ce que les arrêts temporels impliqués par les signes de ponctuation (points, virgule, guillemets...) délimitent des syntagmes dont la dimension n'est pas excessive, ceci afin de permettre les respirations, et ainsi de les éviter en dehors de toute ponctuation.
Nous avancerons par notre expérience en déclamation la valeur maximale de 19 syllabes afin d'éviter au maximum toute respiration malvenue. Cette valeur correspond à une durée de 4 secondes environ pour une rapidité du flux vocal moyenne. En comparaison, la valeur maximale du syntagme limité temporellement par une pause en poésie correspond à la séquence de l'alexandrin (12 syllabes), soit environ 3 secondes.
En lecture subvocalisante (silencieuse), bien que la notion de respiration soit inexistante, la limitation de la longueur relative aux syntagmes peut s'avérer préférable dans la mesure où cette lecture mime la lecture orale. Elle contribue à limiter également une complication syntaxique qui peut être ressentie négativement.
L'aspect syntaxique et lexical de l'écriture - qui correspond à ce qu'on nomme le style - répond à un souci d'élégance et de clarté supérieure à ce qu'exige la simple application des règles grammaticales obligatoires. Cette exigence se conçoit comme un prolongement naturel de l'euphonie.
D'une part, elle consiste à éviter les répétitions dans une même phrase, notamment de prépositions, conjonctions... sauf s'ils se rapportent au même terme ou s'ils sont en situation de symétrie. Pour la conjonction et et la préposition de, on pourra tolérer leur répétition dans des propositions différentes.
D'autre part, dans le cadre d'une écriture à tendance poétique ou esthétisante, il est particulièrement opportun d'éviter les formules relâchées, les idiomatismes. Ces préconisations basiques, traditionnellement enseignées par les pédagogues, n'apparaissent pas toujours respectées chez de nombreux auteurs qui constituent la référence de la littérature. On tendra également à n'utiliser chaque mot que dans sa première acception.
Les rayons matinaux qui flamboyaient aux cieux
Brillaient sur la maison qui semblait palpiter. À ÉVITER
La vie, c'est le bambin qui joue, qui sourit' chante. CONGRUENT
Il vit ainsi des lieux désolés, des champs qui partout s'étiolaient,
des brûlis qui partout s'étendaient. CONGRUENT
Les jours de malheur et de bonheur. CONGRUENT
Il se souvint des jours de bonheur. À ÉVITER
Il but de l'eau du robinet. À ÉVITER
CONSÉQUENCES DE L'ÉCRITURE EUPHONIQUE EN PROSE
Par suite de l'évitement des cacophonies, l'écriture euphonique apparaît évidemment plus fluide. L'étude statistique montre que le taux de rencontres consonantiques n'est pas modifié. Nous avons donc bien éliminé les cacophonies sans fondamentalement modifier le tonus propre à la langue.
En second lieu, les contraintes de l'écriture euphonique elles-mêmes, additionnées aux préconisations syntaxiques, aboutissent à diminuer la longueur des phrases, ce qui permet d'augmenter le taux de e post-accentuels ammuis (très écourtés, faiblement prononcés) au niveau d'une pause, une situation où ils créent au contraire, pensons-nous, un effet positif.
Pour terminer, l'augmentation spectaculaire des élisions (indispensables pour intégrer dans le flux les mots se terminant par un e post-accentuel) permet une concaténation organique du discours au lieu d'une suite de mots isolés, particularité très favorable à l'euphonie. L'exemple suivant (extrême pour la démonstration et pas obligatoirement souhaitable) le montre de manière saisissante:
Une image idoine en ma pupille apparut.
par comparaison à:
Des images agréables sur ma rétine surgirent.
Les liaisons contribuent également à cet effet de concaténation du discours en évitant les cacophonies vocaliques:
Des projets avortés nous menaient à la ruine.
par comparaison à:
Un aléa intrigant nous mena à la ruine.
Si nous nous livrons à la suppression de toutes les cacophonies, nous obtenons un texte qui offre un certain degré d’euphonie qu’on pourrait qualifier de neutre. En effet, il résulte de l’exclusion de phonèmes et non pas d’un choix pertinent de phonèmes destinés à créer des effets phoniques spécifiques.
À partir d’un tel texte, il apparaît possible d’y introduire différentes qualités: souplesse, fluidité ou au contraire raucité.... en privilégiant l’emploi des phonèmes les plus pertinents à rendre l’effet désiré. La fluidité s’accorde à un contenu sémantique approprié (scène empreinte de grâce, sujets féminins, évocation du monde aquatique, de musique mélodique, scènes de tendresse, scène pastorale...). La rudesse s’accorde au contraire à un contenu sémantique plus heurté: action violente, colère, expression de désagrément... Plusieurs moyens peuvent concourir à réaliser ces expressions sans pour autant engendrer de cacophonies:
choix relatif aux sonorités internes des mots
On peut augmenter la fluidité du texte en privilégiant les mots dépourvus de syllabes bi ou triconsonantiques et l’on peut au contraire lui communiquer un caractère heurté en sélectionnant ces phonèmes. Certaines consonnes, dans les syllabes monoconsonantiques elles-mêmes favorisent la fluidité (n, m, v, d, g) par opposition à des syllabes plus dures (r, t, c, s, x). La voyelle i évoque la vivacité, la voyelle a évoque la sensualité... Par ailleurs, la longueur des mots intervient. Les mots longs favorisent le balancement langoureux alors que les mots courts favorisent le rythme saccadé.
Choix relatif au type d'interface
Il est possible d’augmenter la fluidité du texte et de permettre une articulation plus aboutie des termes dans le discours poétique en privilégiant les élisions, ce que permettent déjà les contraintes que nous avons formulées. L'idéal serait d'aboutir à un texte composé de successions consonne-voyelle.
DISCUSSION SUR LES CACOPHONIES AU NIVEAU HISTORIQUE
Très tôt les théoriciens, Malherbe, puis Boileau notamment, signalent l’inconvénient des cacophonies consonantiques au même titre que les cacophonies vocaliques. À l'époque, visiblement, le terme "cacophonie" désigne les cacophonies consonantiques et le terme hiatus les cacophonies vocaliques. Néanmoins, il apparaît que les classiques s'appuient sur une définition à notre avis très permissive des cacophonies. Au lieu de considérer comme définition les cas où une même consonne est présente dans les deux syllabes séparant deux mots consécutifs, ils considèrent uniquement les cas extrêmes où s'agrègent plusieurs cacophonies. D'autre part, les cacophonies consonantiques (même dans leur conception restrictive) ne nous paraissent pas avoir été l'objet d'une proscription aussi prononcée que les cacophonies vocaliques. La différence de sévérité à l'égard des unes par rapport aux autres peut surprendre.
Nous soupçonnons que l’importance des contraintes nécessaires à éviter les cacophonies consonantiques (se surajoutant à celles de la rime) a détourné les théoriciens autant que les praticiens de les proscrire alors que le bannissement des cacophonies vocaliques, moins fréquentes, demeurait possible (du moins, beaucoup plus).
Étonnante apparaît également chez les Classiques la considération selon laquelle l'élision du e - selon l'ancienne conception où il se prononçait - gommerait la cacophonie vocalique engendrée par la voyelle précédente, laquelle se prononce pourtant bien:
La chose convenue alors nous satisfait. (cacophonie u a)
Relativement peu suivie dans la réalité, la proscription des cacophonies vocaliques nous paraît relever plutôt d'une posture de rigueur que d'un véritable souci d'euphonie.
EUPHONIE, INSPIRATION ET TRAVAIL LITTÉRAIRE
Le développement de cette analyse pourrait laisser penser jusqu’ici que l’euphonie résulte uniquement d’un travail littéraire (éviction des cacophonies, élaboration des homophonies positives), donc d’une opération consciente. Ce serait oublier l’importance de l’inspiration capable de fournir inconsciemment une matière textuelle dont le degré d’euphonie peut varier selon les auteurs, le moment, le type de texte... Sans oublier que l’euphonie au sens large se trouve initialement inscrite dans le tissu de la langue.
Les textes en prose d’un récit sont peu susceptibles d’avoir été corrigés par les auteurs dans le sens de l’euphonie, eu égard à la moindre importance de cet aspect dans ce genre littéraire. Ils peuvent donc être significatifs d’une propension naturelle des auteurs à satisfaire inconsciemment les conditions de l’euphonie.
Nous n'avons malheureusement pas de statistique très large concernant les auteurs. Néanmoins, pour 8 extraits d'auteurs, principalement du 19ème siècle, le coefficient de cacophonisme varie de 384 pour Les liaisons dangereuses de Laclos à 542 pour Angelot d'Anne-Marie Guyon. En poésie, la Henriade de Voltaire se détache avec un taux de cacophonisme très bas de 170 par rapport à tout autre auteur, notamment Rimbaud (457) pour son poème Ophélie.
L'écriture euphonique ne se présente pas comme une vérité apodictique. Elle correspond à un choix esthétique parmi d'autres.
Elle crée une fluidité du discours qui peut être ressentie négativement comme un style lénifiant, quoique le taux de rencontres consonantiques, comme nous l'avons signalé, ne soit pas fondamentalement modifié. La tonicité du discours ou au contraire sa fluidité, peuvent entraîner chez le lecteur et l'auditeur, une euphorisation auriculaire spécifique, variable selon les personnes.
Il apparaît cependant possible, pensons-nous, de sensibiliser les auditeurs et lecteurs à discriminer auditivement les textes qu'ils entendent ou lisent. L'habitude de l'écriture euphonique rend vite les cacophonies, et même les e post-accentuels en prose, intolérables.
La notion d'euphonie est relative. Elle est inséparable de l'écosystème phonique propre à une langue. Des rencontres consonantiques quasiment imprononçables dans une langue romane n'auront aucun caractère négatif dans une langue slave et seront même esthétiquement positives.
La recherche d'euphonie s'inscrit néanmoins dans le cadre d'une recherche historique dont témoignent aussi bien Aristote dans l'Antiquité qu'alfred Baudrillart au 20e siècle en passant par Bossuet, Jean Quillien... Elle explique également de nombreuses conformations propres à certaines langues, par exemple en grec ancien les élisions, les formes contractes (fusion de 2 voyelles terminales), les crases (fusion de mots au niveau d'une interface vocalique), modifications de consonnes, d'accentuation...
La notion de cacophonie, avons-nous dit, est très subjective, cependant, en dehors de toute considération esthétique, l'euphonie est consécutive de la facilité élocutoire, de nature kinesthésique, notion objectivable.
En dernier lieu, les contraintes, indépendamment même du plan phonique, peuvent entraîner un effet secondaire oulipien, susceptible d'enrichir le vocabulaire et de créer des effets littéraires.
Nous terminerons en proposant un exemple en prose et en poésie (déclamation: Josyane Moral-Robin):
Extrait: Quand les humains se virtualisèrent (Claude Ferrandeix)
Usant' abusant de sa tautologie vicieuse' indue, le grand-père' ainsi, développait fallacieux' nébuleux syllogismes. Tel un virtuose' il en nourrissait le contenu de leur substance. Comme un judoka matois' il retournait le discours de ses détracteurs. Semblable au rétiaire' il emprisonnait, ligotait le belligérant dans son filet d'apories inextricables. Selon ses prévisions, la Révolution de l'Immobile étoufferait le mobile. Ce destin maudit, bientôt' s'abattrait sur les humains désespérés. Les trémolos de sa voix, s'éraillant' s'aphonant, suggéraient l'effroi de cette apocalypse indolore. Son éventualité glaçait, bien qu'il n'en résultât la moindre écorchure.
Extrait: Galswinthe (Claude ferrandeix)
Point de culture ici" point de clerc' de poète
Point d’échange érudit" pour cette cour ignare
Point de raffinement" en ce milieu barbare
Point de respect' d’urbanité' civilité
Point de courtoisie' galanterie' baise-main.
La guerre uniquement" sans répit' sans repos
La guerre' odieux fléau" dessein' finalité.
N’est-il point une place" entre Mars et Yaveh?
Guisarme et goupillon" gouvernent les humains.
Le grossier réalisme" et le dur mysticisme
Contraignent féodaux" enchaînent hobereaux.
Dans cet opaque mur" n’est-il point d’ébrasure
Dans cette obscurité" n’est-il une trouée
Pour le chaste agrément" la beauté' l’ornement?
Las' je pleure ô je pleure" en ce pays morose.
Depuis des jours mes yeux" n’ont cessé de pleurer
Ma voix depuis des mois" n’a cessé d’implorer.