LETTRE DIFFUSION

La Lettre de diffusion électronique qui paraît une à deux fois par mois vous propose un commentaire de l'auteur généralement sur un extrait de ses ouvrages ou un lien vers une interprétation déclamatoire...

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MÉDITATION DE MARC-AURÈLE
2012-06


Sans doute le stoïcisme permit aux empereurs romains qui en étaient imprégnés d'atteindre une sagesse et une grandeur dont peu de souverains ou chefs d'État ont pu se prévaloir. Et particulièrement Marc-Aurèle qui fut nommé l'empereur philosophe. Dans la première partie de cette évocation, j'ai accusé la dimension fataliste du stoïcisme dans le sens de l'horreur, qui nous rapprocherait plutôt de Schopenhauer. La seconde partie insiste sur la dimension morale, une exigence qui ne saurait permettre aucun apitoiement à l'égard des autres, et moins encore à l'égard de soi-même. La conclusion est une allusion au titre de l'ouvrage que nous a légué l'empereur: Τὰ εἰς ἑαυτόν, tel qu'il est généralement traduit en français: Pensées pour moi-même.

Nous sommes agrégats, de chair sanguinolante
Cadavres ambulants, carcasses palpitantes.

L’âme est un ouragan, le corps écoulement.
Nous charrions pêle-mêle, en nos fibres et nerfs
Pleurs, humeurs, sécrétions, désirs, pensées, passions
Mais la Raison demeure, immuable, impassible.

Victoire et gloire, honneurs, triomphe, apothéose
Quels mots vides et creux, pitoyables et vains.

Tel, revêtu de pourpre, au milieu des vivats
De l’Arx au Champ de Mars, défile crânement
Ne voit-il une dalle, au bout de cette voie?
Le dernier monument, qui l’ensevelira.
Tous ceux qui l’acclamaient, et qui l’ovationnaient.
Bientôt seront poussière, en l’urne funéraire.

D’un coup si l'on pouvait, s'élever dans les airs
Voir ce champ de bataille, où chacun se déchire
Décurions, centurions, légats et légionnaires
Combattant, chevauchant, assaillant, assiégeant
Pilonnant, décimant, harcelant, meurtrissant
Déchirant, assénant, transperçant, tailladant
Combien nous paraîtraient, misérables et viles
Ces confuses mêlées, ces risibles disputes.

Regarde la cité, fastueuse, orgueilleuse.
Tous ces manants, marchands, sénateurs et rhéteurs
Ces bambins turbulents, ces matrones actives
Riant, hurlant, s’égosillant, vociférant
Dansant, chantant, s’élançant, bondissant, courant
Travaillant, ouvrageant, s’éreintant, s’échinant
Devisant, invoquant, déclamant, proclamant
Vendant, troquant, achetant, louant, trafiquant
Fabriquant, façonnant, construisant, édifiant
S’aimant, se détestant, s’admirant, se défiant
S’affrontant, se liguant, s’aidant, se trahissant
Ne seront bientôt plus, que cendre sous la terre.

Dis-toi bien si le mal, ronge ton corps malade
Que rejoindre la Mort, plus tard ou bien plus tôt
Ne devrait t’alarmer, ni même t’émouvoir.
Dis-toi bien si jamais, tes ennemis t’accablent
Qu’eux et toi sans tarder, serez tous dans la tombe.

La Terre n’est qu’un point, dans l’Espace infini
La Vie n’est qu’un instant, face à l’Éternité.

Qui pourrait déclarer, contemplant une larve
“J'importe à l’Univers, plus que cette vermine”?
Qui pourrait affirmer, désignant l’étourneau
“Je surpasse en valeur, ce volatile inepte”?

Que suis-je? une bluette, incertaine, éphémère
Fugitive lueur, engloutie par la Nuit.
Que suis-je? un corpuscule, échoué par hasard
Vil fragment de matière, au sein de l’Univers.

L’Homme juste et loyal, doit vénérer les Dieux
Suivre toujours Nature, accepter son Destin.
L’Homme juste et loyal, doit respecter l’État
Se détourner toujours, des cultes séditieux.

Le Romain doit agir, prudemment, sagement
Sans jamais s'emporter, sans jamais s’irriter.
Le Romain doit agir, noblement, fièrement
Sans jamais s’humilier, sans jamais s’abaisser.

Tout n’est que vain fracas, et vaine agitation
Mais fais ce que tu dois, accomplis ton labeur.
Demeure honnête et droit, et ne dévie des Lois.

Ne dois-je plus que tous, honorer la vertu
Car avant de savoir, gouverner son empire
L'empereur doit savoir, gouverner son esprit.

Ainsi, Marc-Aurélien, tandis qu’il guerroyait
Contre les Marcomans, au-delà du limes
Hanté par ses pensées, méditait pour lui-même.


LE DÉNI D'ÉPICTÈTE
2013-10


En première apparence, ce poème est un hommage au philosophe grec. Utilisant l'anecdote selon laquelle son maître irascible lui aurait cassé la jambe, le philosophe stoïcien rappelle opportunément quelques principes essentiels de sa philosophie. Et il invoque les Champs Élysées, le séjour bienheureux des âmes défuntes, alors que son maître jure par l'intraitable Tisiphone. Hommage en apparence. Car on peut imaginer une autre lecture du texte, antithétique, occultée volontairement (?) par l'auteur. Ne serait-ce, au travers d'un individu normal, le maître, une condamnation générale de ces raisonneurs creux que sont les philosophes? Tout philosophe serait par nature un sophiste. Et Socrate, qui les réfute si bien, en serait le meilleur représentant, le plus roublard, le plus manipulateur (cf le Socrate de Nietzsche). Le poème serait ainsi une contestation du stoïcisme comme tentative de travestir le Réel, notamment la prétention d'éviter les tourments par leur négation, un mensonge fondamental qui s’oppose à la philosophie de Schopenhauer et au bouddhisme affirmant au contraire l’impossibilité d’éviter les maux. Épictète qui prétend être heureux, quand il est agoni de coups, la jambe cassée, n’atteint-il pas le sommet du déni, voire du ridicule? Et n’a-t-il pas recueilli la punition méritée de ses ratiocinations insolentes et absurdes en irritant son maître? Naturellement, c'est une simple hypothèse sur les possibles sens du texte, Saura-t-on jamais ce qu'a voulu signifier l'auteur dans la mesure où lui-même l'ignore? On peut utiliser le terme de signification sous-jacente, potentielle, d’amphibologie, d'ambiguïté sémantique intrinsèque du texte, double inverse de lui-même.

«Vaurien, maudit esclave, impudent raisonneur
Tes mensonges grossiers, crois-moi, par Tisiphone
Bientôt seront châtiés, sans la moindre pitié.
Je m’en vais te frapper, autant que tu disputes
Comme Hercule assomma, le fils de la Chimère.»

«Par les Champs Élysées, maître, avant de me battre
Laisse-moi rectifier, tes propos erronés.
C’est mon corps et non moi, qui recevra tes coups.
Je n’en suis tourmenté, car cette bastonnade
N’affecte que ma chair, et non pas mon esprit.»

«Tiens, voilà, prends cela. Tes arguties risibles
Ne t’éviteront pas, souffrance et désespoir.»

«Tes coups sont trop violents. Prends bien garde à ma jambe...
Voilà qu’elle est cassée. Je t’avais prévenu.

Ô quel malheur pour toi, d’avoir manifesté
Cette aigreur qui te mine, et ravage ton âme.
Comment peux-tu dès lors, te prétendre joyeux?
Quant à moi, j’ai le coeur, plein de félicité.
Ma conscience est légère, et mon humeur sereine.

Te voilà malheureux, lors que je suis heureux.»


LA FIN D'ADIKHALAMANI
2013-10


62 vers, c'était le moins que je pusse consacrer à cette ancienne civilisation méroïtique millénaire aux confins de l'Éthiopie et du Soudan. Le poème relate d'une coutume illustrant la totipotence du clergé auquel la vie même du souvenrain est suspendue. L'utilisation du leitmotiv ainsi que des correspondances homophoniques et syntaxiques contribue volontairement à dépouiller la scène de toute dimension dramatique pour l'assimiler à l'affect d'un chant presqu'humoristique.

Adikhalamani, fils d’Arnékhamani
Dans son riche palais, coulait des jours heureux.

Sa redoutable armée, d’archers et de lanciers
Réduisit les tribus, des Rehrehs, des Médeds.
Son ferme sceptre unit, dans la prospérité
Le pays de Tokens, le pays d’Aloa.
Pnoubs, Atbara, Dongola, Napata, Soba
Repoussent le désert, empiètent sur la brousse.
La faste Méroé, dans son île s’étire
La vaste Méroé, dans son île s’étale.

Adikhalamani, fils d’Arnékhamani
Dans son riche palais, coulait des jours heureux.

Ses forêts de rôniers, d’ébéniers, baobabs
Regorgent d’éléphants, de lions et léopards.
Du sakkieh les godets, s’épanchent dans les champs
Que recouvre un tapis, d’orge blond, de mil ocre.
Dans le fertile roc, des abruptes montagnes
L’on extrait le fer dur, pourvoyeur de couteaux.
Dans le fertile roc, des abruptes montagnes
L’on extrait l’or brillant, pourvoyeur de bijoux.

Adikhalamani, fils d’Arnékhamani
Dans son riche palais, coulait des jours heureux.

Dévotieux, religieux il redoute les dieux
L’enfant-oiseau Mercour, Isis au blanc cornage
Dedoun, qui sue l’encens, Amon coiffé de plumes.
Supersticieux, très pieux, il redoute les dieux.
Soumis, il obéit, aux règles du clergé.
Son esprit effaré, s’émeut des mécréants
Qui décochent leurs traits, sur le Soleil haï.
Déférent, il s’incline, au devant du clergé.

Adikhalamani, fils d’Arnékhamani
Dans son riche palais, coulait des jours heureux.

Mais voici qu’en ce jour, le roi paraît soucieux
Mais voici qu’en ce jour, le roi paraît anxieux.
Mais d’où vient qu’en son front, se creuse un amer pli
Mais d’où vient qu’en son front, s’est inscrite une ride?
Pourtant de tous n’est-il, estimé, révéré
Pourtant de tous n’est-il, adoré, vénéré?
Nul sujet ne se plaint, de ses justes sentences
Nul courtisan n’ourdit, contre lui de complot.

Adikhalamani, fils d’Arnékhamani
Dans son riche palais, coulait des jours heureux.

Mais le prêtre d’Amon, désavoue ses décrets
Mais le prêtre d’Amon, réprouve ses desseins.
Le pontife d’Amon, contre ses lois s’indigne
Le pontife d’Amon, contre ses lois s’irrite.
Lors, survenant voici, du prêtre un émissaire
Qui présente un poignard, en un plateau d’airain.
Mais pourquoi donc survient, du prêtre un émissaire
Qui présente un poignard, en un plateau d’airain?

Adikhalamani, fils d’Arnékhamani
Dans son riche palais, coulait des jours heureux.

Lors se lève le roi, puis s’adresse à la reine
«Las, ma kandaké, las, toi ma reine adorée
Je dois te dire adieu, las, je dois te quitter
Car je sais quelle main, doit prendre ce poignard
Car je sais quelle chair, doit sa lame frapper.
Cette main, c’est la mienne, et cette chair la mienne.
Les dieux l’ont décidé, le pontife l’exige».
Lors s’avance le roi, puis se pourfend le cœur.

Adikhalamani, fils d’Arnékhamani
Dans son riche palais, coulait des jours heureux.


SPLENDEUR ET MISÈRE DE LA TULIPE
2013-12


La Tulipe, fleur emblématique de la Hollande, fut l’objet d’une spéculation intense de la part des affairistes au 17ème siècle, entraînant, d’après certains économistes, la première bulle financière de l’Histoire - sous le terme de tulipomania. La valeur des oignons, qui atteignit les sommets, chuta brusquement, pour devenir dérisoire. Cependant, la fleur demeura un objet de prédilection esthétique pour les peintres, comme Brueghel de Velours. Ainsi, la tulipe, salie par l’argent, se trouve revalorisée par l’Art. Une allégorie qui constitue le thème de ce poème.

Colonisant jardins, pavillons, champs, cités
Voici que vient d’Orient, la belle conquérante
La tulipe aux tons chauds, à la forme élégante.
Son assaut pacifique, envoûte la Zélande.
Bientôt sont détrônés, jasmin, lis, ancolie.
C’est alors qu’alléchés, par la juteuse aubaine
Trafiquants de tout poil, sans honte s’en emparent.
La spéculation crée, la bulle financière
Qui brusquement éclate, engendrant perte et dette.
La fange économique, engloutit la tulipe.
Voici qu’elle est déchue, dépréciée, méprisée.

Mais Brueghel de Velours, estimant sa valeur
De son adroit pinceau, dans un bouquet la peint.
La voici qui retrouve, honneur, Beauté, Noblesse.


PRISE DU TEMPLE DE CUZCO PAR PIZARRE
2014-01


L'or, élément sacré pour les Incas, valeur marchande pour les Européens. L'épisode illustre cette double fascination antinomique par la répétition hypnotique du terme désignant ce métal précieux. Dans la description très elliptique du temple, le terme - qui a l'avantage d'être un mnosyllabe - est répété pas moins de 30 fois en 20 vers. Et l'on remarquera notamment 2 vers qui le citent 8 fois et un vers conclusif le contenant 4 fois...

Le Temple du Soleil, éclat, magnificence.
Reflet, miroir, vision, du céleste univers.
Le Temple du Soleil, splendeur, majesté, beauté
Double inverse, opposé, du terrestre univers.
Le Temple du Soleil, brillance et fulgurance
Que nul œil ne saurait, fixer plus d'un instant.
Le Temple du Soleil, opulence, abondance
Flamboyante lueur, d'éclairs environnée.
L'or, l'or, partout, l'or, l'or, chatoyant, scintillant.
L'or, l'or, partout, l'or, l'or, qui recouvre les murs
Qui tapisse le sol, et revêt la charpente
Dalles d'or, plaques d'or, feuilles d'or, poutres d'or.
Pas le moindre interstice, où le précieux métal
N'éclabousse de feux, ne jette sa luisance.
Tout n'est qu'or sur or, statues et figurines
Qero, pectoraux d'or, masques d'or, anneaux d'or
Socles d'or, sièges d'or, lama d'or, puma d'or
Gantelet d'or, alpaga d'or, guanaco d'or.
L'or, sueur du Soleil, concentrée, condensée
L'or, mystique élément, l'or, magique élément
Divine émanation, du Monde Supérieur
Concrétion glorifiante, exaltante, absolvante.
L'or, l'or qui purifie, l'or, l'or qui sanctifie.

Mais voici les guerriers, sur le parvis du temple.
Cris, hurlements, fureur, dévastation, pillage.
Frénésie, rage, impatience, acharnement.
L'on disjoint, l'on descelle, on compte et l'on emporte.
L'on se bat, l'on se tue, l'on exulte et l'on meurt.
Puis les murs nus, le sol nu, le temple désert.
La bourrasque de même, en un jardin fleuri
S'abat en arrachant, les vermeilles corolles.

*

Bientôt, l'on achemine, à l'entrepôt du port
La riche marchandise, objet du brigandage.
L'on embarque lingots, vers l'Europe lointaine.
Les voici débités, puis fondus et frappés.

La sueur du soleil, devient monnaie vulgaire.


LE CADAVRE DE LA RECLUSE
PEINTURE DE L'HORREUR
2014-02


Si la violence et le sang sont très rarement représentés dans La Saga de l'Univers, en revanche, l'horreur et la déchéance y sont parfois évoqués sous l'aspect de tableaux très composés à la manière expressionniste. Nous sommes à Saint-Flour au Moyen Âge. Le gardien du pont Sainte-Christine entend soudain cesser la plainte de la recluse, logée dans un encorbellement de l’arche centrale. Inquiet - non par pitié à son égard - mais parce que la cité ainsi ne se trouve plus sous la protection de Dieu - il entrou’ouvre le volet de la loge où réside la sainte afin de vérifier si elle est toujours vivante. Voici ce qu’il découvre:

Là, sur le noir grabat, gît un effrayant corps
Masse informe écroulée, tas recroquevillé.
La recluse a vécu. Dieu la recueille en lui.
Sa guenille en lambeaux, imprégnée par la crasse
Vaguement la vêtait, comme une ignoble croûte.
Sa tumescente peau, que recouvrait l'escarre
Déjà semblait moisie, nécrosée, putréfiée.
Par les trous du chiffon, le regard devinait
Son maigre sein bleuté, flasque chair qui pendait.
Cet ornement glorieux, ce radieux fruit sensuel
Dont s'enorgueillissaient, les pulpeuses beautés
Sur le corps décrépit, de cette créature
Paraissait plus encor, hideux et répugnant.
L'étoffe était souillée, de traînées diarrhéiques
Cependant qu'un étron, luisait contre sa main.
L'urine accumulée, stagnait en flaque trouble
Qu'épongeaient les cheveux, répandus sur le sol.
Confus, l'on discernait, un grouillement sinistre
Vers son pubis gluant, où luisaient des yeux rouges.
Ses bras ankylosés, n'avaient pu repousser
Les rats qui l'assaillaient, la dévorant vivante.
Goulûment ils mordaient, la chair de ses viscères
Dont les boyaux sanglants, de son ventre appendaient.
Sa face pétrifiée, par l'atroce agonie
Semblait changée d'un coup, en sinistre gargouille.
Sa bouche ouverte encor, paraissait murmurer
Son ultime louange, au Dieu bon, généreux.
Ce cadavre pourtant, fut un rose bambin
Sa blonde tresse ornait, sa frimousse épanouie.
Le cercle de famille, applaudit sa naissance.
Tendrement ses parents, l'ont aimé, l'ont choyé.
Le voici maintenant, fange, immondice, ordure.

Ne pouvant supporter, la pestilence infecte
Le garde suffoquant, s'éloigna de la grille.
Pendant un long moment, il inspira très fort
Consterné, tremblant, incrédule, épouvanté.
Réalisant d'un coup, la terrible nouvelle
Tel Fleurus embouchant, la corne fabuleuse
D'un geste il empoigna, sa trompette d'airain
Puis jeta sur la ville, un beuglement funèbre.


L'UNIVERS MONACAL
2014-12


Suggérer l’angoisse métaphysique dans sa dimension la plus profonde au travers de la foi médiévale, c’est ce que j’ai tenté dans cette description de l’univers monacal. Elle exprime le confinement du judéo-christianisme dans le nihilisme, considéré comme sa vérité idéologique fondamentale. Ce réductionnisme, par l’absorption de la Création, par la négation du Temps et du mouvement, aboutit à la seule idée essentielle, Dieu, le Rien, l’absolue Vacuité, le Néant, De ce rejet de la conscience qui refuse tout agrément, toute jouissance, résulte une impression de morbidesse tragique. Ne s’agirait-il de ce sentiment primordial qui hante le dasein heideggerien face au Monde? L’Existence apparaît comme un ensevelissement irrémédiable dans une Matière hideuse, effrayante, omniprésente qui rend dérisoires et vaines toute espérance.

Sempiternellement, la même galerie
Sempiternellement, les mêmes chapiteaux.
Rien n'est ici plaisant, rien n'est ici charmant
Car Dieu voulut que l'Homme, en souffrant ici-bas
Pût gagner dans les Cieux, radieuse Éternité.
Dans le domaine enclos, de l'austère abbaye
Point de verger, point de halliers, point de parterres.
Le pois chiche sans goût, seul croît au potager.
Le puits délivre une onde, insalubre, insipide.
Plus triste est la journée, sous les arcades grises
Plus morne est la nuitée, sous les voûtes lugubres.
Cloître aveugle et muet, sourd au fracas mondain
Thébaïde épargnée, par l'humaine folie.
Sempiternellement, la même cour déserte
Sempiternellement, les mêmes colonnades.
Par le vitrail fermé, sur l'extérieur impur
Le monde évangélique, et l'univers biblique
Moïse, Abraham, Josué, Jacob, Salomon.
Face à la Création, brutale, indifférente
Le miracle du Christ, et la résurrection.
Contre la cruauté, des éléments farouches
La pitié de l'apôtre, et l'amour de Marie.
La Procession des saints, face à la mécréance
Romuald, Bernard Tolomeï, Jean Gualbert
Dominati, Placide, Alfène, Odon, François.
Face à la Volupté, face à la Vanité
Flagellations, Crucifixions, Dépositions.
La pesanteur du Temps, incline les ogives
L'étau de l'Existence, emprisonne les âmes.
L'étouffante Matière, alourdit les moellons
S'immisce par les joints, s'infiltre par les dalles
Circule dans nos corps, dans nos mains, dans nos cœurs.
Sempiternellement, la même cour déserte
Sempiternellement, les mêmes colonnades.
Sempiternellement, la même galerie
Sempiternellement, les mêmes chapiteaux.


NOSTALGIE DE L'ISLANDE
2014-12


Erik le Rouge, le réprouvé, exprime sa nostalgie du pays natal, l’Islande. C’est la dimension géographique, géologique et climatique du lieu qui se trouve ici évoquée par une toponymie aux phonèmes très spécifiques. La désolation, la nudité, l’âpreté, la rigueur, s’identifient au sentiment inscrit dans le cœur de l’homme, lui communiquant sa puissance et sa profondeur.

Ma terre, ô je revois, ton familier visage.
Les fjords profonds taillant, ta minérale chair
Les moraines striées, sur le Vatnajokull
Formidable calotte, écrasant le relief
Les sandurs caillouteux, lugubres étendues
Les galeries de glace, aux rus effervescents
Les arches de basalte, au-dessus des flots verts
Le désert canyon d'Asb, les cirques des névés
Les falaises de Vik, le volcan de Laki
Les marmites de boue, les brûlants solfatares
Krisuvik, Hveragerdi, Landmannalaugar
Les geysers vaporeux, fontaines infernales...
  Ta plage, ô Langaholt, contient des pierreries
Les bijoux (*) éclatants, des rhyolites rousses
Les joyaux émaillés, des zéolithes vives.
Breidamerkurjoküll, rade pour icebergs
De cette jetée part, leur gigantesque flotte
Vaisseaux réverbérants, à la coque verrine
Qui viennent s'échouer, sur le sable des rives.
Comme toi mon pays, j'ai l'âme rude et fière.
Comme toi mon pays, j'ai l'âme triste et noble.
J'aimais te parcourir, Islande aux mille oiseaux.
Je suis comme un grand labbe, irascible et farouche.
Les sternes chaque année, pour de lointains voyages
Traversent l'océan, malgré tous les périls.
Comme eux je suis parti, malgré tous les écueils
Pour suivre un long périple, au bout de l'Univers.
J'aimais te parcourir, Islande aux fleurs sans nombre
Qui poussent dans le vent, dans le froid, dans la neige
Le modeste lupin, sur le roc dénudé
L'armenia du Kjölur, dans la stérile cendre.
Comme elle je survis, solitaire et farouche
Comme elle je m'accroche, à l'espoir, à la vie.


ALEA JACTA EST
VERSION DÉCLAMÉE MUSICALE
2015-02


Voici Alea jacta est dans une nouvelle version déclamée par Josyane Moral et moi-même, illustration de Renata Novakova. Je voudrais montrer dans ce document audio l'importance de la musique et son adaptation au texte poétique. L'accompagnement musical que j'ai composé représente un des deux protagonistes de la narration, le fleuve Rubicon, assimilable à Sulla ou à Rome elle-même. Plus précisément, il s'agit d'un ostinato exposé au glockenspeil évoluant sur un tutti aigu de cordes. Un symbolisme employé dans certaines œuvres classiques pour représenter l'élément liquide, par exemple dans la Suite Mississipi de Ferdé Grofé ou encore la célèbre Moldau de Smetana. Lors de la prosopopée, où le fleuve s'adresse à César, interviennent les cuivres dans une tessiture plus grave ("voix grondante", dit le texte). Puis j’ai interrompu la partie musicale pour créer un effet de rupture qui marque l’instant historique (Le voici maintenant, aux Portes de l’Histoire). Pour la finale, j'ai interrompu de même le fond sonore pour valoriser le paragraphe conclusif, lorsque César plonge son glaive dans l'onde. Enfin, j'ai repris l’ostinato, en nuance pianissimo, diminuendo poco a poco, smorzando auquel j'ai rajouté des pauses pour suggérer l'éloignement du fleuve et son abdication face au volontarisme du consul. Ainsi, la présence obsédante en arrière-plan de cet accompagnement musical - si toutefois je suis parvenu à un résultat efficace - doit contribuer à soutenir la tension qui anime le texte et à en illustrer le déroulement narratif.




LES INCERTITUDES DE POMPÉE
VERSION DÉCLAMÉE MUSICALE ILLUSTRÉE
2015-06


Outre la musique, les vidéos sur la Saga de l’Univers sont accompagnées d’une image présente aux yeux de l’auditeur durant tout l’épisode, ce qui rejoint la conception de l’œuvre totale que prônait Wagner. Cette image est due au talent de Renata Nováková. S’inspirant du texte, elle tente d’en représenter un aperçu pictural. Cette artiste animalière à l’origine, si elle n’exprime pas par son style propre l’aspect expressionniste de mon écriture poétique, en représente cependant un autre aspect essentiel, l’intériorité, le recours au symbolisme et aux descriptions documentées parfois précises et réalistes. En l’occurrence, le portrait particulièrement fouillé de Pompée en avant-plan et les légions de César en arrière-plan reconnaissables à leurs enseignes spécifiques, vision du Vainqueur des Pirates à la fin du récit poétique. Mais en définitive, l’essentiel, au-delà des éléments extérieurs, n’est-ce pas ce qui agite le cœur de l’Homme? Vous pouvez découvrir les œuvres de Renata Novakova sur

et sur youtube:





CHARLES DE GAULLE
PERSONNAGE ÉPIQUE
2015-06


Parmi les grands personnages historiques, De Gaulle est certainement celui qui fut le plus épique, plus encore par son sens de l'Histoire que par les épisodes de son existence vouée à la Nation. Parmi les personnalités que j’ai poétiquement représentées et affectionnées: Julien l'Apostat, Marc-Aurèle, Charles Quint, le tsar Alexandre Ier... De Gaulle est sans doute celui qui correspondait le mieux à mon inspiration et intrinsèquement au genre épique.



RENAISSANCE ET ORGIE
2015-08


J'ai toujours voué une grande admiration à l'égard des papes corrompus du Moyen Âge et de la Renaissance, amateur de bonne chère et de chair, de luxe et d'Art. Plus précisément, les relations ambiguës de Jules II et de Michel-Ange en sont emblématiques. C'est sous ce signe de la luxure et de la débauche - néanmoins artistique et fortement teintée de second degré - que je présente le miracle du Rinascimento.

«Je suis paralysé, par un doute invincible.
Je me sens terrassé, par la stérilité.
Plus je ne puis tenir, mon ciseau malhabile
Dans ma tremblante main, dénuée de vigueur»
«Viens avec moi. ressaisis-toi, reprends confiance.
Tu pourras déployer, tes ailes de géant
Sous la voûte là-haut, au-dessus de nos têtes»
Jules Deux, Michel-Ange, entente fraternelle
Jules Deux, Michel-Ange, indissociable couple.
Dieu, la Création, l'Univers, l'Homme et la Femme
Quel sujet colossal, aurait mieux satisfait
Cet Hercule de l'Art, ce titan de la fresque?

Le Véronais, clarté, légèreté, finesse.
"Les Noces de Cana" festivité conviant
Jésus, les chiens perdus, les saints, les bambocheurs
Cavistes et prélats, caméristes et princes
François Premier, Charles Quint, Marie d'Angleterre.

Le Titien, magnifique, orgie de coloris
Sensualité, velouté, des tons, des nuances.
"Danaé" poudroiement, patine, éclaboussure
"Danaé" pluie, jaillissement, épanchement.

Léonard, technicien, peintre et mécanicien
L'homme encyclopédique, esprit universel
Fontaine d'invention, fleuve de créations
Cadavres disséqués, roues à godets, chars d'assaut
Machines à voler, sous-marins, bathyscaphe...
Mona Lisa. Tendre sourire, évanescent
Mystérieux, magnétique, obsédant, illusoire
Sourire étrange, indiscernable, énigmatique.

Arcimboldo, portraits, de gibier et légumes
La rave est un menton, les cheveux des racines.
La cerise est un œil, l'oreille est champignon.
Le fer blanc d'un grand plat, devient coiffe grotesque.


LA QUÊTE ÉROTICO-TELLURIQUE DE LIVINGSTONE
2015-08


Le mystère associé à l'origine du Zambèze, ce fleuve africain, est résolu depuis longtemps. Ce qui surtout me fascina, c'est la fascination elle-même de Livingstone dans sa dimension freudienne (supposée). Sur le plan poétique, le mystère ne vaut-il pour lui-même en tant que mystère indépendamment de son contenu, de sa résolution? Mais que recherche Livingstone, est-ce bien un fleuve sinon, en un monstrueux orgasme, l'intime contact avec l'ἀρχῆϛ Γαῑα, la mater primitiva, dans sa profondeur liquide et tellurique? Et, sur le plan littéraire, ce mystère n'est-il représenté par la forme interrogatve, réitérée, lancinante?

Dans quel sens peut couler, ce fleuve capricieux
Le Zambèze inconnu, cette énigme insoluble?
Quelle immense montagne, utérus monstrueux
Put enfanter un jour, ce géant aquatique?
Mattopo, Moutchinga, n'êtes-vous réservoir
Masquant dans les forêts, de vos pubiens replis
Cette source abondante, ainsi qu'un mucus tiède?
Pourrai-je contempler, tel un adorateur
Cette matrice énorme, en sa parturition?
Quels sont les affluents, qui de leur cours l'abreuvent
Lui sacrifient leur eau, pour gonfler son débit?
Cette onde qui s'écoule, à mes pieds, devant moi
Pourrait-elle rejoindre, au bout de son voyage
La côte namibienne, ou l'anse mozambique
Le fougueux Atlantique, ou l'Océan Indien?
Ne part-elle vers l'Est, pour bifurquer à l'Ouest?
Ne serait-ce une ruse, abusant mon esprit
Que me joue la rivière, amoureuse perfide?
Que ne pourrai-je hélas, changer comme Protée
Mon humaine enveloppe, en goutte minuscule
Pour suivre son chemin, jusqu'à son embouchure?


PAX ROMANA, GUERRE OU PAIX
2015-09


Pour certains, les murailles sont les conditions permettant la paix et la stabilité. Pour d'autres, ce sont d'intolérables témoins de la puissance guerrière s'opposant à la liberté. Le limes romain, destiné à préserver la pax romana illustre ces aspects contradictoires, En réalité, la notion de pax romana s'applique à une période antérieure pendant laquelle Rome n'avait pas encore renoncé à ses conquêtes (1er siècle et 2ème siècle après JC). Le poème tend à montrer l'essence de cette protection qui permet à la prospérité de s'établir, tout en témoignant des liens ambigus entre les notions de repli stratégique, de défense, de pacification par la guerre ou de paix par la soumission. Le poème, comme l'Art en général, pourrait être une idéalisation frauduleuse de la réalité, mais qui ménage suffisamment de latitude interprétative.

Monde, ô parchemin vaste, où chaque insigne inscrit
Le message martial, des senatus-consultes
Par lettres de combats, de sièges et campagnes.
Lui-même l'Ébranleur, n'arrête la conquête.
Mare nostrum, tu n'as, ô Méditerranée
De rive où l'on aborde, une terre étrangère
De province où ne flotte, une aigle victorieuse.

Pendant que les soldats, surveillent dans les tours
Que centurions, prêteurs, questeurs, légats, tribuns
Contiennent de leurs mains, l'effroyable hydre Guerre
Le soc dispensateur, au lieu du glaive brille
Le paisible fermier, disperse la semence
Dans les villas gaiement, les jouvencelles tissent
Les matrones chantant, pétrissent le froment.
La truie Prospérité, mord la hyène Misère.
Le rayonnant Hélios, et Jupiter s'entraident
Pour nourrir les sillons, fécondés par Cérès.
Vénus, Vesta, Minerve, ont supplanté Bellone.

Ô Rome universelle, ô Rome souveraine
Maîtresse des cités, protectrice des peuples.


LES PHARES DE L'ATLANTIQUE
2015-09


L'épisode Ar-men, nom du célèbre phare, illustre l'invention de Fresnel qui permit de sécuriser la navigation côtière. Dans la recherche du lyrisme, c'est sans doute cette description des phares s'allumant au crépuscule sur l'Atlantique qui m'a fourni l'image la plus propice à développer cet effet dans son intensité paroxysmique. Elle se développe par le procédé de l'énumération (particulièrement de noms propres avec leur épithète au sens homérique) et se termine logiquement par la prosopopée déclamatoire qui en est l'apogée et le point d'orgue. Naturellement, un tel déploiement doit appuyer l'interprétation symbolique, voire la dimension morale, qui vient en conclusion du poème. L'extrait ci-dessous fournira cependant une idée amoindrie du sentiment que peut évoquer la scène car il y manque l'effet préparatoire, suscité par les quelques 300 vers précédents.

Cependant sur le Raz, la pénombre s'amasse.
Quelques goémoniers, dans la baie vers Audierne
Laissent encor monter, la fumée de leurs fours.
L'on entend faiblement, le beffroi de Beuzec.
C'est l'heure où le gardien, qui veille sur la Roche
Tel un dieu créateur, allumant un soleil
Va déclencher soudain, l'émission du faisceau.
Près de lui, miroitant, la magique lanterne
L'ommatidie géante, aux lames concentriques
L'œil merveilleux d'acier, de cuivre et de cristal
D'où reluit, mystérieux, l'iridescent mercure
L'invention de Fresnel, qui, Prométhée moderne
Sut dérober aux dieux, le secret des photons.
Déjà s'étend sa main, lentement, calmement.
Puis il reste en suspend, comme pour savourer
Sa puissance héroïque, unique et solitaire.
C'est l'instant solennel, c'est le sublime instant
Par lequel un seul geste, embrase l'océan.
C'est fait, son bras d'un coup, presse l'interrupteur.
Lors, soudain, réflecteur, catoptiques lentilles
Focalisent rayons, convergent radiations.
L'aveuglante lumière, à l'horizon fulgure.
Spectacle féerique, irréel, fantastique.
La giration franchit, l'immensité nocturne.
Chaque degré parcourt, un secteur angulaire
Dix, vingt, cinquante fois, cent, mille fois dans la nuit.
Celui qui fit jaillir, cette clarté soudaine
Le cœur gonflé d'orgueil, contemple son ouvrage.
Son visage infernal, comme par un prodige
S'illumine un instant, d'un sourire angélique.

Bientôt, là-bas, là-bas, vers le Sud, vers le Nord
S'allume lentement, le chapelet des phares.
La Jument, Nividic, vers Ouessant la rocheuse.
Tevennec le fatal, vers la pointe du Van
Le Stiff, immaculé, Grand Léjon, rouge et blanc
Men ar C'ha, noir et jaune, Ar Croac'h, tour carrée.
Vers le chenal du Four, le Faix, les Pierres Noires.
Vers Plouguerneau, la Vierge, au fût gris élégant.
Tour aveugle, Ar Gui-Veur, dogue flairant la brume.
Cordouan le superbe, édifice baroque
Sur le sable mouvant, de l'instable Gironde.
Vers le Nord, vers le Sud, Burnham sur pilotis
Dover, octogonal, aux portes d'Angleterre.
Vers Plymouth, Eddystone, aux granitiques blocs
Fenit sur un îlot, dans la baie de Tralee
Machichaco, l'altier, à l'énorme lanterne
Guia, Cabo raso, Cascais, près de Lisbonne
Vigies du Continent, cyclopéen troupeau
Campanils de la mer, temples de l'Océan
Maritimes pyrées, dont le prêtre-officiant
Garde le sacré feu, contre l'eau subversive.
Dès que l'astre du jour, faiblit à l'horizon
Commence le ballet, des pinceaux lumineux.
Secteurs blancs, rouge ou vert, clignotants, continus.
Chacun balayant l'onde, émet son clair message

«Nous sommes les sauveurs, du navire égaré
Nous guidons vers le port, le vaisseau dérouté.
Découvrant notre flamme, au sein des flots mouvants
Le capitaine anxieux, qui maniait vainement
Carte et compas, sextant, cherchait en vain l'étoile
Reprend la route sûre, évite les écueils.
Bras de l'Amirauté, qui soumet les tempêtes
Volonté des humains, qui domptent la Nature
Nous sommes le Progrès, combattant les Ténèbres»


LA CUEILLETTE DU GUI
2015-09


Notre ignorance concernant le déroulement des cérémonies druidiques est une aubaine pour les littérateurs qui peuvent les traiter selon leur fantaisie. Saisissant cette opportunité, j’ai tenté dans “Saga celtique” de transformer la cueillette du gui par le druide - image éculée s’il en est - en épisode de transe hallucinatoire. Et c’est la volonté de contredire idéologiquement Victor Hugo - une de mes obsessions - qui m’a conduit à présenter cette vision extatique comme une perception graduelle de l’Univers dans sa multiplicité, de l’ἄτομος au κόσμος. À l’inverse, le pâtre songeur de Magnitudo parvi (Les Contemplations), selon la logique judéo-chrétienne, tente de rejoindre l’immanence divine en éliminant la matérialité du Monde.

La prêtresse à genoux, couverte d'un foulard
Pose la serpe en or, au pied du sage druide.
Puis toutes s'agenouillent - Dans la vaste clairière
Nulle herbe ne frémit, plus aucun son ne bruit.
Les geais ont tu leurs chants, l'écureuil s'est figé.
Puis Sentach invoqua, Brighid la Protectrice.
Paix dans son cœur grandit, sérénité, quiétude.
L'Essence multiforme, en son âme pénètre.
Son perçant regard voit, l'énormité de l'Être
D'abord imaginant, l'atome et le cristal
Puis les vaisseaux, canaux, la brindille et la feuille
L'herbe et le pré, le rameau, l'arbre et la forêt.
Voici que s'élargit, la Spirale en son œil
L'immensité des Cieux, l'immensité des Terres
Vaste globe ordonné, par l'Esprit et les nombres
Mystérieux, impénétrable, incommensurable.
Paix dans son cœur grandit, sérénité, quiétude.
La volonté suprême, anime son humeur.
Posément, lentement, ses pieds montent l'échelle.
Posément, lentement, sa main brandit la serpe.
Le voici devenu, dieu sidéral, céleste
Mouvant l'astre nocturne, au sein du firmament.
Posément, lentement, s'abat la fine lame.
Son claquement résonne, en multiples échos.
Le grand Chêne frémit - La plante se détache.
La voici qui vole... qui plane dans l'air... se pose
Dans le voile de lin, que les vierges retiennent.
Ses feuilles recourbées, gisent comme deux ailes
Qu'adornent ses fruits blancs, perles éblouissantes.
Posément, lentement, la serpe encor s'abat
Puis à nouveau se lève... s'abat... se lève... s'abat...
L'étoffe bientôt ploie, sous le précieux fardeau.
Le bras s'arrête enfin, le dernier rameau tombe.
Sentach rompu, fourbu, redescend les barreaux.
Tout disparaît en lui, pré, forêt, Ciel et Terre.
Son cœur violent bondit, son esprit las vacille.
Déconcerté, songeur, il contemple son œuvre.
C'est alors qu'une vierge, apporte un chaudron noir.


ALEXANDRIN LEGATO OU STACCATO
2015-09


Certains lecteurs ont peut-être remarqué dans les vers de La Saga de l’Univers un positionnement parfois curieux de la virgule. C’est que j’ai prêté à ce signe, non pas le rôle grammatical qui est le sien actuellement, mais son sens historique premier qui était de représenter une respiration, précisément correspondant en poésie à une césure. Par exemple dans ce vers:

De tous côtés brillait, un flot de pierreries.

Ainsi, pour employer le signe adéquat, ce vers devrait être écrit ainsi:

De tous côtés brillait // un flot de pierreries.

ce qui est visuellement peu congruent.

J’ai opté pour cette pratique afin que le lecteur ménageât un léger temps d’arrêt au niveau de toutes les césures et restituât mentalement le rythme propre de l’alexandrin. Ce détournement de la virgule peut être contestable, néanmoins aucun puriste ne m’a encore provoqué en duel.

De ce point de vue, l’on remarquera l’existence de plusieurs types d’alexandrins:

-l’alexandrin balancé ou lié (mode legato) séparé obligatoirement en deux hémistiches égaux au niveau d’une liaison grammaticale forte (par exemple entre un verbe et son complément):

De tous côtés brillait // un flot de pierreries.

-l’alexandrin brisé (mode staccato) à une ou plusieurs césures correspondant à des liaison grammaticales faibles (par exemple dans une énumération)

Des jais // rubis // des grenats // diamants // émeraudes.

On peut définir le mode mixte: un vers fondamentalement balancé, mais comportant, en plus, des césures dans ses hémistiches:

Le champs, prés, sont noyés, d’eau, pluie, boue, détritus.

C’est précisément dans ce cas que l’absence d’indication de la césure centrale risquerait d’entraîner la lecture erronée suivante:

Le champs, prés, sont noyés d’eau, pluie, boue, détritus.

transformant ainsi un vers binaire en vers ternaire. Et là, pour le coup, je titillerais bien au bout de mon épée mon lecteur qui commettrait une telle abomination.

Le mode legato apparaît largement dominant, néanmoins c’est l’existence de ces deux modes qui prête au poème épique sa diversité rythmique sans altérer son homogénéité. Le passage suivant décrivant la zone côtière hollandaise montre un exemple où le mode staccato et le mode legato s’équilibrent:

Là-bas, dans le brouillard, au sein de l’Océan
Texel, Terschelling, Ameland, Schiermonnikoog...
Bouclier d’îlots, fortins, murailles terrèques.
De tous côtés, partout, de vastes étendues.
L’estran boueux, sableux, vaseux, changeant, mouvant.
Le polder, marais, étiers, noues, limons, tourbières.
Le polder infertile, inculte, abandonné
Règne de l’atropis, et de la salicorne.
Le polder asséché, le polder bonifié
Parcelle d’océan, devenue continent
Dont erratiques blocs, sont écueils échoués
Mosaïque dont joints, sont canaux et chenaux
Dont les tesselles sont, pacages et prairies
Que broutent les ovins, que paissent les bovins.
Poel, blik, schorren, kwelder, bientôt sont emblavures.
Le polder fécond, fertile, essarté, semé
Règne du sarrasin, du mil, du blé, de l’orge.
Voici que les moissons, recouvrent les perrés.
Le désert d’autrefois, devient riche campagne.


UXELLODUNUM
2015-10


La fameuse histoire des mains coupées à Uxellodunum, que l'on découvrira au travers de cette évocation épique (déclamation de Josyane Moral et Claude Ferrandeix, illustration de Renata Novakova-Daumas), n'est probablement qu'une belle légende. Elle convient d'autant mieux à une exploitation littéraire. Elle-même, la pratique des mains coupées, si toutefois elle s'appliqua au cours de la guerre des Gaules, est a priori étrangère aux mœurs de la république romaine. Dans le texte, tout est bien présenté de manière à ce que la responsabilité de l'épisode incombe uniquement à la personne de César, ce qui rejoint le sujet central du poème épique César, l'anti-héros d'une anti-épopée.

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MAGELLAN ET LA COLÈRE DE L'ATLANTIQUE
2015-10


À l'issue de sa bataille contre l'Atlantique, Magellan prie Marie, la Vierge qui représente naturellement sa référence religieuse et civilisationnelle. Mais s'agit-il bien de Marie? Qui vainc la tempête? Ne sont-ce plutôt ces jouvencelles patientes qui ont itssé les gréements? Ainsi, quelle divinité pourrait se cacher en elles? Une autre vierge, Athéna, la déesse présidant aux travaux féminins du tissage. Par ce subterfuge, l'auteur ainsi parvient à introduire la présence de sa divinité tutélaire antique dans un récit où, historiquement, elle ne saurait être évoquée. La déesse aux yeux pers est présente dans tous les évènement majeurs de La Saga de l'Univers, que ce soit au cours d'une bataille entre Alexandre et Darios ou entre les Soviets et le Reich. Si je n'avais connu à l'âge de douze ans cette fille blonde aux yeux bleu-vert - grâce à un vieux monsieur qui vivait au 7ème siècle avant JC sur une île de la Méditerranée - je n'aurais sans doute jamais écrit le moindre vers de poésie épique.

Le paisible voyage, au large se poursuit
Durant des jours sans grain, et des nuits sans brouillard.
L'onde semble endormie, le vent paraît inerte.
Le rageur Atlantique, aurait-il supporté
D'être si tôt vaincu, sans qu'il eût combattu?
Mais un jour la vigie, pousse un cri déchirant.
L'irascible Atlantique, effrayant, terrifiant
Dévoile aux matelots, son monstrueux visage.

«Débarrassez le pont, carguez toutes les voiles.
Rajustez les sabords, vérifiez l'écoutille.
Baissez les fauconneaux, resserrez les haubans»
Les marins en tous sens, fébrilement s'activent.
Les toiles sont pliées, enroulées, encordées
Brigantine d'abord, sur le mât d'artimon
Grand perroquet, puis trinquette, enfin civadière.
Le beaupré, le grand mât, et le mât de misaine
S'élèvent dénudés, tels des troncs effeuillés.
Sur les bittes on lie, fils de caret, cordages.
Sur la décharge on noue, les drisses renforcées.
Le navire est paré. Les matelots sont prêts.
Magellan vérifie, l'ensemble des agrès.
Plus une voile aux mâts. L'impérial pavillon
Seul orgueilleusement, affronte l'ennemi.

C'est alors que s'avance, en un fracas d'enfer
Le front uni des nues, compact, impénétrable.
Soudainement, la nuit, enveloppe la nef.
Le vent fouette la vague, ainsi qu'un destrier.
La houle se transforme, en lames déchaînées.
La mer est hérissée, de monts, de pics, de cimes
Creusée de vallées, dépressions, ravins, canyons
Qu'un séisme secoue, bouleverse et renverse.
Le rouleau s'élevant, comme un liquide muscle
Nourri par la fureur, du souffle qui l'excite
Lentement se dilate, et rassemble sa force
Puis s'abat, se répand, en gerbes écumantes.
L'ondée fuse et crépite, ainsi qu'une mitraille.
Le ciel, canon géant, bombarde le navire
De ses brutaux boulets, traversant l'atmosphère.
Le zigzaguant éclair, fend brusquement l'espace.
Durant un court instant, comme un feu satanique
L'aveuglante clarté, remplace les ténèbres
Par sa brusque lumière, électrique, irréelle.
Soudain, le feu Saint-Elme, au sommet de la hune
S'allume, épouvantant, les gabiers religieux.
Le terrible roulis, couche la caravelle
Tandis que le tangage, en avant la culbute.
Les vergues affolées, autour du mât tournoient
Comme au-dessus du pôle, une aiguille aimantée.
L'eau, de la mer, des nues, en trombes se projette
Submerge la dunette, envahit le gaillard
Coule sur le tillac, dans les soutes s'épanche.
Suffoqués, étourdis, les matelots s'agrippent
Sur le bois du plat-bord, les crochets des pavois
Tandis que la rafale, ennemie lancinante
Malmène leurs cheveux, siffle dans leurs oreilles
Tire leurs vêtements, et fouette leur visage.
L'on croirait des harpies, remontées de l'Erèbe.
Les voilà maintenant, maîtresses du vaisseau
L'une pousse en tous sens, le gouvernail sans frein
L'autre dans ses mains tord, les agrès distendus
La troisième saisit, la tunique d'un mousse.
Le grand mât fléchit, ploie, mais résiste à l'assaut
Car il est maintenu, par les haubans solides
Que les filles au port, ont patiemment filés.
C'est d'elles que dépend, l'issue de la bataille
C'est d'elles que dépend, le destin du navire.
Les hommes sont tremblants, terrifiés, effarés
Leur fougue et leur vigueur, sont ici dérisoires.
La preste jouvencelle, aux délicates mains
Sans jamais s'arrêter, sans jamais se lasser
Tournant au long du jour, le rouet monotone
Dompte modestement, le colosse Atlantique.

Cependant la tempête, imperceptiblement
Relâche son étreinte, et calme son courroux.
L'ondée tarie s'épuise, et le vent s'affaiblit
Comme si l'amiral, gouvernant cette armée
Par un décret subit, obscur, énigmatique
Venait de convoquer, ses galions aériens.
C'est alors qu'apparaît, par les nues déchirées
Le timide soleil, aux rayons apaisants.

«Marie, sois remerciée, Vierge-du-Bon-Succès.
Toi qui par ta douceur, fléchis les éléments»


COMPLAINTE DE HE HICHEN
À L'ÉGARD DE MAO-ZEDONG
2015-10


L'essence fondamentale de la poésie épique est sans doute l'exaltation du lien d'appartenance communautaire qui peut relier les membres d'une ethnie. C'est ce qu'exprime, en sa résolution, cet extrait du Grand Timonier dans La Saga de l'Univers. He Hichen, l'épouse de Mao Zedong qui l'a suivi durant la Longue Marche, émet une complainte où elle épanche toutes ses récriminations, mais aussi son admiration à l'égard de son époux. Tout le discours de l'héroïne est absorbé par l'unique objet de son ressentiment et de sa passion. Comme il apparaît ingrat, insensible, ce compagnon, silencieux sous les imprécations véhémentes de sa compagne! Mais la finale, à l'issue de la déclamation, révèle ce combat entre le lien communautaire et le lien affectif individuel qui agite le héros, lui restituant sa double dimension, humaine et historique...

Les femmes de l'armée, combattent sans faiblir
Pourtant il en est une, effrayée par la guerre
Qui ne peut supporter, la redoutable Marche
C'est la frêle He Hichen. compagne de Mao.
Pleine d'un sentiment, amer, désespéré
Son ire inassouvie, soulève sa poitrine.
La voici déclamant, son infinie souffrance

«Qu'ai-je fait, qu'ai-je fait, pour subir ce martyre?
Qu'ai-je fait pour subir, ces terribles épreuves?
Malheur, malheur pour moi, de t'avoir pour époux.
Malheur d'avoir séduit, ce monstre impitoyable.
Ta compagne est l'armée, tes enfants les soldats
Les membres du Parti, sont ta famille unique.
Malheur à ma fratrie, malheur à mon engeance.
Que sont-ils devenus, mes fils abandonnés?
Mon sein palpite encor, d'un nouveau descendant.
Puissè-je retirer, de mon corps cette vie
Puisqu'elle deviendrait, orphelin délaissé.
Puissè-je l'arracher, l'extirper, la nier.
Puissè-je le renier, ce germe que je traîne
Comme un fardeau fatal, une pustule haïe.
J'abomine cette âme, accrochée dans mon flanc
Que pour sa volupté, l'Homme impose à la Femme.
Que suis-je devenue, transformée, diminuée?
Des mèches violentées, par les autans sauvages
Tombent sur mon front las, que les rides entaillent.
Ma peau blanche est rongée, par les rayons voraces.
Mon épaule fragile, est griffée, lacérée
Par les ronciers mordants, les branches flagellantes.
Que sont devenues, las, mes nattes bien lissées?
J'endosse le treillis, plutôt que les corsages.
Le fracas des obus, résonne en mes oreilles
Plutôt que le babil, des joyeux nourrissons.
Dans ce monde viril, ignorant compassion
Que suis-je devenue, faible femme attendrie?
Je n'ai pas en mon bras, de martiale énergie
Car je ne sais qu'aimer, quand il faudrait tuer
Je ne sais que plier, quand il faudrait lutter.
Face au défi majeur, au planétaire enjeu
Que puis-je importer, moi, négligeable existence?
Je ne suis que la biche, effrayée du tumulte.
Car la tendre affliction, m'emplit au lieu de rage.
Des larmes en mon œil, fusent au lieu d'éclairs.
Que me sont les idées, et les révolutions?
Las, que puis-je comprendre, aux politiques dogmes?
Que puis-je m'inquiéter, de stratégie guerrière
Je ne puis concevoir, que douce prévention.
Je ne puis ressentir, que les élans du cœur.
Je ne suis point Niu-koua, traquant le Dragon Noir.
Je ne suis Teng Ying-chao, l'activiste zélée
Je ne suis Kang ko-ching, l'amazone fougueuse.
Dans mon esprit confus, exalté, passionné
La sensible émotion, prime sur la raison.
Le yang est dominé, par le yin féminin.
Pour toi ne fus-je pas, l'épouse chaleureuse?
N'ai-je pas sacrifié, mon bonheur, ma beauté?
N'ai-je pas gaspillé, mes années de jeunesse?
J'ai suivi sans remords, ton existence errante
Laissant au désespoir, les miens qui me pleuraient.
J'ai soumis sans regret, par ton charme envoûté
Mon cœur affectueux, à ton âme farouche.
J'ai livré ma douceur, à ta rudesse abrupte.
J'ai livré mon amour, à ton indifférence.
Que vais-je devenir, tiraillée, ballottée
De chemins en chemins, de cités en villages?
Par l'ennemi vainqueur, si je suis capturée
Comme Yang Kahui, ne vais-je, être décapitée?
Demain ne deviendrai-je, aux mains de Chiang Khai-shek
L'Andromaque déchue, qu'un Pyrrhus tyrannise?
Par ce grand général, que n'ai-je été séduite?
J'eusse vécu là-bas, dans un palais superbe.
Je me promènerais, dans un parc magnifique.
Mais que dis-je, honte à moi, ne perdè-je la tête.
Mon esprit déraisonne, affabule et délire.
Je te dois tout, mon lion, mon héros intrépide.
Tu resteras toujours, mon ombrageux seigneur.
Je ne suis que brin d'herbe, à tes pieds, chêne immense.
Devant toi je m'incline, et demeure à genoux.
Je resterai soumise, à ta grandeur insigne
Toujours, à jamais, toi, que je ne puis quitter.
J'écoute avec respect, tes paroles sublimes
Que distille en ton for, ton esprit supérieur
Comme au sein du feuillage, où s'engouffre l'autan
Le bruissement sonore, annonçant les orages»

Tandis qu'elle se tait, les yeux remplis de larmes
Le Timonier ressent, une émotion poignante.
Mais point il ne faiblit, son inflexible marche
Car il est en son cœur, une amante plus chère
Qui l'appelle au secours, désespérée, la Chine.


CLÉOPÂTRE ET CÉSAR
2015-11


Josyane Moral, membre du Cercle Amélie Murat, s’est fait remarquer particulièrement en récital par sa déclamation très inspirée de l’épisode Cléopâtre. C’est ici l’occasion de préciser le rôle dévolu à chaque partenaire, féminin et masculin. Quoique je ne sois pas un grand partisan de la sexualisation des rôles, sur un plan général, elle apparaît incontestablement efficace sur le plan de l’esthétique littéraire. À chaque voix peut correspondre - quoique sans absolu - un ethos et des thèmes spécifiques, le registre martial, les tableaux extérieurs, le volontarisme, l’action pour la voix masculine, le doute, l’empathie, l’intimité pour le registre féminin. Ainsi, dans l’épisode Cléopâtre, la description intérieure du Palais Royal est déclamée par la voix féminine, mais lorsqu’est évoqué par la baie le paysage extérieur, c’est la voix masculine qui prend le relais. La voix féminine pourrait aussi représenter le Destin et la Mort, s’identifiant à la déesse chthonienne Vanth, aux Parques, aux Moires ou aux Nornes.

LES IDES DE MARS
2015-11


Dernier épisode de César, l’anti-héros d’une anti-épopée, dans la nouvelle version déclamée par Josyane Moral et Claude Ferrandeix. Comme lors de cet autre évènement historique, le passage du Rubicon, le personnage le plus important est celui qui est évoqué symboliquement (c'était le fleuve lui-même et non César). Dans cet épisode, il s’agit de Pompée. Le consul assassiné trois ans et demi auparavant sur une plage égyptienne assiste en effet sous la forme de sa statue marmoréenne au meurtre de César. Fantôme impuissant, figé, sourd et muet, représente-t-il la vengeance ou le Destin? Ne symboliserait-il plutôt l’inanité pitoyable de nos vies et de nos passions qui s’évanouissent dans le néant de la Mort?



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LES JARDINS SUSPENDUS DE BABYLONE
2015-11


Dans la Saga de l’Univers, les épisodes descriptifs constituent souvent un morceau de bravoure par lequel l’auteur tente d’affirmer sa puissance créatrice. Particulièrement, le choix des Jardins de Babylone, considérés comme une des Sept Merveilles du Monde, implique une inspiration à la hauteur - en qualité et dimension - du sujet traité. Il s’agit clairement d’impressionner le lecteur par la multiplicité des images, l’érudition (en tant qu’effet littéraire), l’ampleur lyrique… Naturellement, je ne saurais me prévaloir de la réussite, seul le lecteur est juge. En second lieu, pour ce thème, se surajoute un défi par rapport à la précédente illustration qu’en réalisa Victor Hugo dans “Les sept merveilles du monde”. Et mon essai ne saurait être qu’un hommage au créateur de la Légende des siècles sans lequel je n’aurais probablement pas écrit un seul des 30.000 vers de la Saga de l’Univers.


L'infinie variété, de tous les paysages
Les types de relief, de flore et de couvert
Dans la diversité, des minéraux et plantes
Comme un grand éventail, se déroulaient au loin
Ravines et marais, vallons, rochers, collines.
Partout croissaient halliers, massifs, bosquets, parterres
De Caryophyllacées, de Polygonacées
Linacées, Liliacées, Malvacées, Tubéreuses.
Par ses lacs, par ses torrents, étangs, ses bassins
Protée changeant sa face, en multiples visages
L'onde fraîche étanchait, ce décor prodigieux.
Les forêts déployaient, leurs feuilles en tentures.
Là s'élevaient les fûts, d'essences rarissimes
Venant de tous pays, et de toutes contrées
Les cèdres libanais, et les pins annamiens
Les banians du Pamir, à l'aubier succulent
Des nopals épineux, des cassies parfumées
De persiques lilas, comme des girandoles
Parmi les grenadiers, les figuiers, sycomores.
Les épicéas, bouleaux, noisetiers, mélèzes
Ramenés de Scythie, voisinaient sur les pentes
Les papyrus, manguiers, importés de l'Afrique.
Les corolles piquaient, les denses frondaisons
Par la vivacité, de leurs tons coruscants.
Des héliochryses bruns, disséminés dans l'herbe
Sous les feux d'Apollon, semblaient mielleuses gouttes.
Les camélias nacrés, et les carthames pourpres
Tachaient le gazon vert, aux nuances bleuâtres
De laiteux entrelacs, d'arabesques sanguines.
Les jacinthes d'Héras, pointaient leurs grappes mauves
Qui semblaient des massues, plongées dans l'indigo.
Des thyrses vermillon, pannicules vermeils
Jetaient mille rayons, comme des candélabres.
De fins convolvulus, qui grimpaient aux buissons
Mêlaient comme un damas, leurs tiges argentées.
Les papillons gracieux, voltigeaient dans les prés
L'ænéis pointillée, la junonie dorée
Le gazé transparent, l'argymne flavescent.
Leurs ailes se froissant, aux branches qu'ils heurtaient
Laissaient flotter dans l'air, de lumineuses nues.
Chrysomèle et cétoine, au milieu des branchages
Décoraient de joyaux, comme jade, émeraude
Leur tunique de limbe, et leurs châles de lianes.
Des paons qui déployaient, leurs pennes irisées
Dans les rameaux semaient, des arcs-en-ciel radieux...
Pendant que loriots, colibris, paradisiers
Gracieux, majestueux, tels d'inconnus phénix
Parmi les boqueteaux, égrenaient sans répit
Leurs suaves mélodies, et lyriques refrains.
Les jets qui tournoyaient, en s'épanchant des vasques
Se déversaient en pluie, d'astragales radieux.
Hors des blanches vapeurs, émergeant des fourrés
S'élevaient pergolas, statues et belvédères
Qui n'adoraient nul dieu, ne servaient à nul prêtre
Cippes sans nom, frontons, ne révérant nul mort.
Les rampes et degrés, ne montaient nulle part
Les chapiteaux ouvrés, ne tenaient d'architrave.
Les ponts ne franchissaient, que rus et roseraies.
Tout dans ce lieu magique, était plaisir, caprice.
L'on eût dit que l'Utile, austère et tyrannique
Perdait en ces jardins, sa terrible puissance.
Les éléments charmés, en eux s'abandonnaient.
Le soleil s'égarant, de son orbe céleste
Venait s'emprisonner, dans les rets de leurs branches.
L'Aquilon rencontrant, cette splendeur sublime
Refrénait sa colère, et devenait Zéphyr.
Durant les nuits d'été, la nostalgique lune
S'endormait au berceau, de leurs molles ramures.
La brume caressait, de ses bras élampés
Les douces frondaisons, les délicats bourgeons.
Les nues qui s'échouaient, dans cet archipel vert
Tendrement le couvraient, par d'humides baisers.
Dans l'océan des cieux, naviguaient leurs terrasses
Nefs aux troncs pour mâture, aux feuilles pour voilure
Magnifiques vaisseaux, fendant l'air éthéré.
Sur l'immense désert, les migratrices grues
Qui soudain rencontraient, ces forêts aériennes
Dans l'eau fraîche trempaient, leur plumage brûlant
Sans répit flagellé, par les simouns torrides.


LES PARANGONS DU FUTUR
2015-12


Que seront devenus les hommes et les femmes dans un millénaire, si toutefois ils existent encore. Selon cette hypothèse, j’ai tenté d’imaginer ces êtres du futur dans une astronef loin de la Terre en décomposition. La dernière ancêtre issu d’un ventre maternel, la seule qui vit de ses yeux la planète originelle, s’adresse à la nouvelle génération féminine. Quant aux hommes, ils se sont dématérialisés pour ne plus subsister que sous la forme d’un cerveau informatique.


Vous êtes Perfection, vous êtes Beauté pure.
L'hyperféminité, s'épanouit en vos membres.
Vous êtes l'angelot, que Raphaël peignit
La sainte Beatrix, que Dante imagina
Laure, image absolue, que Pétrarque adora.
N'êtes-vous devenues, de vraies divinités?
Cet orbital anneau, gravitant sur lui-même
N'est-il pas un Olympe, au-dessus de la Terre?
N'êtes-vous des Létos, des Pallas, des Vénus?
Le cerveau gouvernant, la spatiale station
Géant ordinateur, quantique et neuronique
De ses faisceaux laser, défiant les ennemis
N'est-il pas Zeus puissant, qui lance des éclairs?
Si nous pouvions le voir, en son apothéose
Découvrir, ô stupeur, contempler, rayonnant
Cet immatériel être, intelligence vive
Découvrir son réseau, de fibres et d'axones
La face hérissée, le regard terrifié
Ne risquerions-nous pas, d'en être foudroyées?
Vous semblez être femme, et n'êtes pourtant femme
Car vous ignorerez, le désir de la chair.
Nulle trivialité, ne doit blesser vos yeux.
Vous ne connaîtrez pas, sexuelles turpitudes.
Vous connaîtrez demain, la bienheureuse vie
De volupté, d'amour, et de méditation.
Vos âmes atteindront, le nirvana profond.
Sachez que j'enfantai, comme aux temps archaïques.
Mon flanc se déforma, s'arrondit, puis s'ouvrit.
Mais je vois que l'horreur, décompose vos faces.
N'en soyez pas outrées, n'en soyez dégoûtées
C'était nécessité, de la procréation.
Par bonheur cette époque, est enfin révolue.
Vous fûtes embryons, du commun gynécée
De verre et de métal, que la semence emplit.
Pour vous ne suis-je pas, madre dolorosa
Ne suis-je pas Gaïa, qu'Ouranos engrossa?
J'étais soumise, enfant, à la défécation.
J'appris à consommer, les nouveaux aliments
Permettant d'éviter, météorisation
L'ambroisie délicieuse, à la pulpe fruitée
Simulant par son goût, les présents de Pomone
Le nectar succulent, ce breuvage imitant
Le marc aux sombres feux, don précieux de Bacchus.


RÉMINISCENCES DE L’ILIADE PAR ALEXANDRE
2015-12


L’exercice littéraire impliqué par l’évocation de cette réminiscence de l’Iliade consiste à transformer, s’il est possible, l’imitation en originalité. À cette fin, c’est l’excès dans l’imitation elle-même qui permettra d’y parvenir. Et dans ce but, c’est la multiplication des références, condensées en un petit nombre de vers, qui en représente la possibilité et la difficulté. Mais comment résumer, sans la réduire à la froideur impersonnelle d’un abstract didactique, une épopée de 11.000 vers? C’est ce qu’a tenté l’auteur - en 15 vers exactement - depuis le fameux retrait d’Achille dans sa tente jusqu’à la mort d’Hector.


Voici qu'à l'Est bientôt, paraît le continent
Par l'écume frangé, d'un brillant liseré.
D'Abydos à Térée, s'étend l'Asie Mineure.
Comme si le guidait, un appel mystérieux
Le divin Alexandre, accoste un cap désert
Que depuis son enfance, il rêve de rejoindre
Cependant il connaît, cet héroïque lieu.

Bientôt sur une plage, on hisse les vaisseaux.
Dans cette plaine où coule, un tourbillonnant fleuve
Se dresse un tumulus, pilonné par la guerre
Pitoyable débris, d'une cité superbe.
Là gît un vieux rempart, qu'un dieu fit puis défit.
L'Hégémôn aussitôt, commande un sacrifice.
L'on prépare avec soin, l'hécatombe sacrée
Dix génisses d'un mois, ignorant l'aiguillon
Vingt bœufs aux gras cuisseaux, trente brebis sans tache.
Sur eux en pluie dorée, l'on épand les grains d'orge.
Les bêtes sont occies, découpées et parées.
Sur les bûchers flambants, l'on pose les morceaux.
L'on se lave les mains, dans l'onde purifiante.
Les prestes échansons, transportant les amphores
Pour honorer les dieux, versent des libations.
Les sombres feux du vin, brillent dans les cratères.
Puis l'on entonne en chœur, le péan victorieux.
L'on mange la fressure, et la chair odorante.
Malgré cette allégresse, Alexandre est songeur.
Dans les panaches blancs, s'échappant des foyers
Passionnément il voit, des images glorieuses.

Le valeureux Achille, en son camp se retire
Contre l'Atride empli, d'une ire impétueuse.
Théthys aux pieds d'argent, prie l'Assembleur des nues.
De l'aube-aux-doigts-rosés, jusqu'à la nuit sacrée
Dans la mêlée d'Arès, les guerriers se distinguent.
Le bronze aigu des traits, se repaît des Argiens
Terrassés par Hector, au casque flamboyant.
La mort-qui-tout-achève, emporte alors Patrocle.
Foudroyant du regard, Ilion battue des vents
L'Éacide éploré, pousse un terrible cri.
Le voici revêtant, pour venger son ami
Les armes ciselées, par le divin Boiteux.
Les héros se défient... La bataille fait rage...
Le vieux Priam ainsi, brisé par la douleur
Devant les portes Scées, ramène un corps chéri.


LES REMORDS DU GÉNÉRAL KOUTOUZOV
2015-12


Quand les ordres rudes et les jurons du général télescopent les souvenirs amers de l’ancien dandy séducteur. Lors de cette bataille de Borodino, le destin individuel et le destin collectif se rencontrent. Le héros embrasse l’un et l’autre. La trahison envers la promise est sans doute le crime inexpiable qui laisse dans la mémoire de l’homme le remords le plus indélébile. Goethe en témoigna sans doute, lui qui fut toute sa vie hanté par le personnage de Faust.


«Jamais de front, cisaillez en travers, les gars»
«Reculez calmement. Prenez bien garde aux ailes»
«Repliez, repliez, les unités défaites»
«Contournez la redoute, abandonnez le centre»
Je l'avais aperçue, dans les rues de Smolensk.
Plus je ne l'ai revue. Que fait-elle aujourd'hui?
«Mais que vois-je là-bas? Ce fou de Beningsen
Va-t-il se décider, à modérer ses troupes?»
Possède-t-elle encor, ses longs cheveux tressés.
Fuit-elle en un convoi, démunie, délaissée.
Las, depuis si longtemps, depuis trente ans déjà.
«Beningsen, Beningsen, vous allez revenir?
Vous êtes général, comme je suis barbier»
Je ne l'ai pas aimée, je ne l’ai pas chérie
Car je l'ai repoussée, car je l’ai délaissée.
Las, en mon triste orgueil, je ne l'ai jugée digne
D'être un jour mon épouse, et partager ma vie.
Pour que l’on me jalouse, à la cour d’Alexandre
Pas assez distinguée, pas assez cultivée.
Pour exciter mes nuits, pas suffisamment belle.
«Nom de Dieu, Beningsen, vous allez reculer?
Maria Katharina. «Beningsen, Beningsen»
Quel rustre maintenant, la serre en ses mains rudes
Ce jour, que pensa-t-elle, en trouvant mon billet?
Malheur, je l'écrivis, sans honte et sans remords.
J'étais pour elle un rêve, un rêve qui se brise.
Maria Katharina, tu valais pourtant bien
Les sottes cultivées, de l'aristocratie
Les sottes distinguées, de la haute noblesse.
«Nom de Dieu, Beningsen?» Puis j'en ai connu d'autres.
«Platov, Tchoukhov, regroupez-vous, regroupez-vous»
Mais vint le châtiment, au siège d'Ismaïl
Cette balle envoyée, par Dieu pour me punir.
Sans prévenir, directe, ainsi que la missive.
Mon sang coulait, mon œil gisait, j'étais heureux
Délivré, libéré, de mon action mauvaise.
Je ne devais mourir, mais je devais souffrir.
Le galant sigisbée, n'était plus que satyre.
Je me vis brusquement, objet de répulsion
Pour celles qu'autrefois, mon charme séduisait.
Moi, jadis Apollon, je devins Polyphème
Poursuivant de son ire, Acis et Galatée.


LE DANUBE ET L’EUROPE
2016-02


Le Danube est certainement le symbole du Saint Empire Romain Germanique. N’est-il pas également un symbole de l’Europe, une Europe désunie telle que la découvre Marie-Anne d’Autriche, héroïne de cet épisode. Ainsi, la description géographique revêt une signification historique et politique. Une représentation épique qui s’inspire du célèbre poème musical de Smetana, la Vltava...


Ainsi philosophant, au long de mon voyage
Bientôt je me trouvai, sous les remparts de Vienne.

Le voici devant moi, ce fleuve tant rêvé.
Qu’il est fougueux, profond, qu’il est majestueux.
L’on croirait que le froid, décuple sa puissance.
Te voici, Donau, fleuve de mes aïeux.
N’es-tu pas de l’Autriche, un naturel symbole?
Dans ton flot, tu charries, blocs, alluvions, glaçons
Que ton humeur farouche, arrache de tes berges.
Tu portes les échos, des montagnes boisées
La haute Forêt Noire, aux verts épicéas
Quand Donaueschingen, réunit tes deux bras.
Tu sembles trépasser, quand, près d’Immendingen
De perfides avens, engloutissent tes eaux.
Krâhenbach, Elta, de leur cours t’abreuvant
Te sauvent de la mort, en te ressuscitant.
Lorsque ton lit amorce, un retour sinueux
Tu parais à Schlögen, désorienté, perdu
Mais tu reprends ta route, en direction de l’Est
Vers ta mère attendant, ta nutritive manne
Tout là-bas aux confins, de la Russie neigeuse.
Ton royal flot arrose, Ulm et Sinmaringen
Puis Linz et Manthausen, puis Melk, Durmstein et Krems.
Lors viennent te grossir, l’Ainst et la Traun, la Enns.
Tel d’une armée l’on voit, grossir les bataillons
Quand de nouveaux soldats s’unissent à ses rangs
Pour sauver la patrie, contre l’envahisseur.
Dans ton onde bleuâtre, aux opalins reflets
Tu fonds et purifies, pareille au magicien
L’eau verdâtre de l’Inn, issue des pics alpins
L’eau noirâtre de l’Iz, venant des marécages.
Tu reflètes châteaux, palais et abbayes
Mirant de leurs saillies, clochetons et donjons.
Quand le soleil d’été, fulgure au sein des cieux
Ton cours bruissant paresse, au long de ses méandres
Comme un chat ronronnant, près de l’âtre vermeil.
Le joyeux paysan, puise en ton flanc fécond
La pépite fluente, élixir des primeurs.
Le négociant recueille, en toi ses marchandises.
Les boeufs et les brebis, divaguant assoiffées
Dans ta prodigue coupe, étanchent leur gosier.
Mais quand vient le printemps, soufflant sa tiède haleine
Que la fondante neige, enfle tes reins mouvants
Tu grondes et rugis, tel un tigre en colère.
Tes vagues déchaînées, s’abattent sur tes rives
Ton courant griffe et mord, déchire et déchiquette.
Ports, quais, remblais, appontements, embarcadères.
Péniches et chalands, barges et bolozanes
Brisés, disloqués, défoncés, pulvérisés
Ne sont plus sur le sol, que débris pitoyables.
Ta naissance remonte, au premier temps du globe.
Tu jaillis quand Thétys, féconda l’Océan.
Partageant, rattachant, les ethnies et pays
N’es-tu conservatrice, ou bien distributrice
Borne séparatrice, ou lien associatif?
Par ton chemin liquide, aux rapides courants
S’échangent matériaux, denrées et provisions
Traditions, nouveautés, rites et conventions.
Donau, jusqu’à nous, tu draines tes eaux vives
Puis tu vas et t’enfuis, là-bas vers Komarno.
La vaste plaine hongroise, ouvre à tes flots sa voie.
Tu lèches Budapest, Belgrade et Pancevol.
Tu franchis Golubac, et les Portes de Fer
Le minéral étau, des Balkans et Karpates.
Puis délivré, tu flues, vers Calafat, Svishrov.
Tu n’étais près des monts, qu’un mince ruisselet
Te voici maintenant, majestueux, puissant.
Tel naît dans sa caverne, un malingre lionceau
Mais voici qu’il grandit, mais voici qu’il grossit
Devient le puissant mâle, arborant sa crinière.
C’est alors qu’apparaît, ton immense delta.
Dans ta vase étouffé, tu décrois, tu faiblis
Ton instable courant, se désagrège en bras...
Puis tu meurs, tout là-bas, exténué, laminé
Quand se dilue ton flot, dans l’immense Mer Noire.


L’ENFER D’OMAHA BEACH
2016-02


La littérature affectionne les récits présentés par l’intermédiaire d’un narrateur, qu’il s’agisse des Mille et une Nuits, du Décaméron de Boccace ou encore de la saga régionale d’Henri Pourrat Gaspard des Montagnes. Pour ma part, j’ai souvent présenté l’exposition d’un récit comme la méditation émanant d’un héros que sonde l’auteur omniscient. C’est le cas pour l’épisode Omaha Beach où le général Eisenhower se remémore la bataille historique du Débarquement. Une modalité qui renforce l’intériorité du récit et situe le Réel au niveau de l’Imaginaire.



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PARAPHRASE SUR LE LAC DE LAMARTINE
2016-05


Les compositeurs du 19e siècle affectionnaient de réinterpréter les œuvres de leurs confrères sous la forme de Fantaisie, Variations, Paraphrase… Ainsi en est-il de la Fantaisie Le Streghe de Nicolo Paganini sur un thème de Franz Xaver Süssmayr, de la Fantaisie sur Carmen de Pablo de Sarasate d’après Georges Bizet, ou encore du Concerto de Reinhold Gliere orchestré et complété par Boris Nikolaïevitch Lyatochinsky. Il en est différemment en littérature où cette pratique est très rare. Je me suis essayé dans l’esprit des compositeurs à une paraphrase poétique sur le célèbre Lac de Lamartine. Chacun pourra tenter de découvrir les critères d’écriture de cette paraphrase en comparant strophe par strophe à la version originale. N’hésitez pas à m’envoyer vos réponses.


PARAPHRASE SUR LE LAC DE LAMARTINE

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans l’éternel abîme, emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan du Temps
Jeter l’ancre un instant ?

Ô lac, cette année faste, a fini sa carrière.
Plus vers toi ne viendra, Celle qui me fût chère.
Vois, je viens seul m’asseoir, là sur le vieux rocher
Qui supporta son poids !

Tu mugissais de même au flanc de tes récifs.
Ta vague enfiévrée, se brisait violemment.
L’Aquilon tournoyant, baignait de ton écume
Ses pieds que j’adorais.

Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions silencieux ;
L’on entendait là-bas, sous les cieux tourmentés,
Le bruit sourd des rameurs, qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Lors, d’inconnus propos, qu'ignoraient les mortels
Du gouffre azuréen, doucement s’élevèrent;
L’onde émue s’aplanit, et la voix que j’aimais
Par ces mots s’épancha :

« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, étés fuyants !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les ultimes délices
De nos jours déplorés !

« Assez de malheureux, vous prient en ce bas monde
Coulez, coulez sans fin ;
Ravissez les printemps, et les maux qui les rongent;
Délaissez les heureux.

« Mais je demande en vain, d'enrayer le Destin,
L’Amour fuit et m’échappe ;
Je m’adresse à toi, Nuit : Sois lente avant que l’aube
Ne dissipe tes voiles.

« Savourons, épuisons, les saisons fugitives
Hâtons-nous et jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Tout finit et périt ! »

Se peut-il que déjà, ces baisers passionnés
Dispensant en notre âme, un bonheur infini
Plus vite encor de nous, sans retour s’amenuisent
Que l'hiver du malheur ?

Quoi ! n’en fixerons-nous, la trace évanescente ?
Les voici consommés, les voici consumés !
Ce temps qui les créa, jadis les engendra,
Jamais ne les rendra.

Éternité, Néant, Mystère, obscure Énigme,
Que deviennent les joies que vous engloutissez ?
Revivrons-nous demain, ces furtives étreintes
Que vous abolissez?

Ô lac ! rochers muets ! val, forêt centenaire !
Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
De ces moments gardez, gardez, belle Nature,
Le souvenir lointain !

Qu’il demeure en ton sein, qu’il demeure en tes eaux,
Qu’il persiste et se grave, en tes champs, tes collines,
Tes sapins ténébreux, tes aulnes langoureux
Surplombant tes falaises.

Qu’il frémisse et frissonne, en ton Zéphyr câlin
Dans la rumeur des flots, mourant sur ton rivage.
Qu’il brille au pâle front, de la rêveuse lune
Répandant sa clarté.

Que le vent soupirant, le roseau gémissant
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout son, tout parfum, remonté de la Terre,
Proclame cet amour.


LA CÉLÉBRATION DE SVANTOVIT
2016-05


La Célébration de Svantovit, divinité slave obscure, pourrait être présentée comme un jeu purement rhétorique. La règle en est de réitérer une idée similaire en variant le vocabulaire sans jamais en répéter les termes. La démarche s’appuie sur le synonymisme en tant qu’effet littéraire. Elle s’apparente à l’exercice musical bien connu du Thème et Variations. J’ai rajouté quelques contraintes supplémentaires, dont l’obligation d’inclure dans chaque variation un terme de couleur locale ainsi que les correspondances de construction syntaxique ou phonique... Quelques références pourraient être rappelées depuis l’Art de Théophile Gautier jusqu’à Exercice de style de Raymond Queneau ou les lipogrammes des oulipiens, dont Georges Pérec dans La Disparition. La Célébration de Svantovit, n’est ici qu’une ébauche car le nombre de variations pourrait être augmenté ad libitum.


Svantovit Protecteur, ô toi Préservateur
Que ta divine ardeur, puisse embraser nos cœurs.

L’armée des ennemis, s’enfuit à l’horizon
Quand ta fougue a poussé, la droujina farouche.
Les guerriers ont fléchi, les guerriers ont failli
Mais quand tu les soutiens, leur énergie grandit.

Svantovit Protecteur, ô toi Préservateur
Que ta divine ardeur, puisse embraser nos cœurs.

Si tu n’étais en nous, dans nos mains, dans nos membres
Point ne décimerions, les adverses légions.
Quand tu veilles au forts, de nos voïvodies
Point ne peut les franchir, le touranien cupide.

Svantovit Protecteur, ô toi Préservateur
Que ta divine ardeur, puisse embraser nos cœurs.

La panique saisit, les contingents transis.
Lorsqu’au front est brandie, ton effigie sacrée.
L’assaillant affolé, chute aux bas du rempart.
Quand ta face apparaît, sur les merlons du kreml.

Svantovit Protecteur, ô toi Préservateur
Que ta divine ardeur, puisse embraser nos cœurs.

La furie nous remplit, de hardiesse et vaillance
Quand est clamé ton nom, par nos poitrines fières.
Le sang coule en nos corps, plus que flot de l’Iana
Quand ta présence infuse, en notre âme l’espoir.

Svantovit Protecteur, ô toi Préservateur
Que ta divine ardeur, puisse embraser nos cœurs.

Tu diriges les coups, de nos tranchantes haches.
Tu guides la foulée, de nos chevaux iakoutes.
La victoire est à nous, quand ta force invincible
Vient seconder nos bras, dans la mêlée terrible.

Svantovit Protecteur, ô toi Préservateur
Que ta divine ardeur, puisse embraser nos cœurs.


ÉLOGE DE LA LENTEUR
UN CANAL PRÈS DE NEWCASTLE
2016-07


Dans le bassin houiller de Newcastle coule un canal. Son cours se caractérise par sa lenteur en opposition à l’activité des humains. Dépassant la réalité géographique, la description pourrait suggérer, par l'animisme implicite, une dimension allégorique, le sentiment de paix face à la folie des humains. Plus encore sans doute, il faut en retenir l’idée elle-même de lenteur et la fascination que peut exercer cette structure aquatique passive… (extrait de Monkwearmouth La Saga de l’Univers).


Le canal régulier, net, rectiligne, étale
Comme une lame aiguë, perçait l'épais brouillard.
L'on n'aurait pu savoir, d'où venait, d'où partait
Ce vaste épanchement, s'évanouissant au loin
Cette saignée grandiose, entaillant la campagne.
Son flot s'étirait, s'allongeait, s'élargissait
Tel un chemin liquide, un géant escalier
Dont marches étaient biefs, contremarches écluses.
Par l'inconnu décret, des occultes puissances
L'eau retenue captive, entre ses bajoyets
Se rétractait, s'enflait, descendait ou montait.
La batellerie suit, le rythme de son onde.
Sans jamais s'éreinter, sans jamais s'épuiser
Tels infimes fétus, coquilles minuscules
Son dos plat supportait, se mouvant lentement
La barge surchargée, la massive péniche
Le chaland paresseux, la gabare assoupie.
La ville trépidait, bruyante, assourdissante
Les pilons écrasaient, les marteaux défonçaient.
Le bois, l'acier, le fer, se heurtaient, s'achoppaient.
Les pistons compressaient, les mèches transperçaient.
Lui demeurait placide, impassible, endormi.
Les hommes s'affairaient, s'activaient, se hâtaient
Hurlaient, couraient, chargeaient, déchargeaient, déplaçaient
Lui demeurait paisible, indolent, impavide
Figé, paralysé, léthargique, apathique.
Sans haine et sans violence, il imposait, discret
Sa quiète solitude, en cette multitude
Son immobilité, dans ces rapidités
Sa tranquille pulsion, dans cette agitation.
L'on eût dit qu'il fut mort, pourtant la vie latente
Circulait en son flanc, pacifique et profond.
Sa lenteur obsédait, insondable mystère
Comme un songe arrêté, qui n'atteint pas son terme
Le cours d'une pensée, qui jamais ne finit.
Lenteur, lenteur, infinie lenteur, éternelle
Confondant le présent, le passé, l'avenir
Lenteur imperceptible, uniforme lenteur
Souveraine lenteur, lenteur majestueuse.


PREMIÈRES VILLES
2016-08


La finale du poème Aurore (La Saga de l’Univers), représente le point d’orgue concluant un immense crescendo développé en 152 vers. L’apothéose rayonnante en est le développement des premières villes après l’évocation des habitations archaïques et des villages primitifs. Néanmoins, dans cette glorification lyrique de l’avenir que sera la Civilisation sont introduits subrepticement des éléments négatifs. C’est ainsi qu’apparaissent en filigrane dans la foule bigarrée des cités les classes sociales, les rapports hiérarchiques, la misère, la coercition... Et le remplacement de la Déesse Mère protectrice par un dieu, substitution possiblement négative, se trouve masqué par le qualificatif irradiant de solaire. Le texte littéraire se révèle souvent polysémique et ambigu, suggérant des aspects opposés, par la nature même des éléments décrits ou par une intention de l’auteur...


…………………………………………
Bientôt se regroupant, unissant leurs foyers
Des villages épars, deviennent la Cité.
Sur un coteau voici, qu'elle étage ses toits
Profile ses murs, ses carrefours, ses quartiers
De grès ou de pisé, de brique ou de moellons
Ses remparts, son arsenal, ses ponts, ses tourelles
Ses luxueux palais, aux dalles d'amphibole
Son temple vénérant, le nouveau dieu solaire
Près de l'ancien autel, de la Déesse Mère
Ses tavernes bondées, activant le négoce.
La cohue des passants, dans les rues déambule
Manants, patrons, artisans, vendeurs, acheteurs
Mendiants, voyageurs, vagabonds, serviteurs, maîtres
Sombre flux surveillé, par la milice en armes.
Parmi les habitants, des esprits besogneux
De leur ciseau gravant, sur d'étranges tablettes
Les signes inconnus, d'un langage muet
Tracent discrètement, la voie des Temps nouveaux.

C'est ainsi qu'apparut, la première écriture.
L'Humanité dès lors, émergeant de la Nuit
S'éveilla lentement, pour sa nouvelle aurore.


LA POÉSIE SURANNÉE DE MONTMARTRE
2016-09


La description de Monmartre au début du 20ème siècle dans le poème épique Le Triomphe de la Peinture moderne aboutit à ce procédé minimaliste qu’est l’énumération (ici, les noms de rue) dont j’ai souvent usé, sinon abusé, pourront penser certains. Aragon ne fit-il de même dans Le conscrit des cent villages? Comment dès lors ces listes de termes dénuées de sens propre et de subjectivité pourraient-elles engendrer un effet littéraire spécifique? il en est de même du minimalisme en peinture. Tout le monde pourrait peindre un Mondrian, se dit-on, et la légitimité artistique semble ne se trouver que dans la rhétorique associée à ce genre de production. Mais alors que le discours présentant la peinture est une afférence extra-artistique contestable, l’énumération littéraire peut tirer sa légitimité de l’effet préparatoire, intrinsèque au texte, dont elle est le résultat. C’est une extension du principe selon lequel chaque mot n’a de sens que dans sa contextualisation réalisée par la phrase et au-delà par l’ensemble du texte qui le précède et même qui le suit comme une note de musique dans une partition. L’on pourrait aussi voir dans l’énumération, non une évacuation sémantique et une déstructuration syntaxique gratuite, mais une adhésion plus directe à l’objet dont on exprime la quintessence en le débarrassant de son interprétation intellectuelle.


……………………………………………………
Montmartre est devenu, la nordique Florence
Capitale de l'art, surpassant la Toscane
Berceau du renouveau, Renaissance moderne.
L'Arno s'est élargi, pour devenir la Seine.
Montmartre et ses poulbots, ses titis larmoyants
Ses marmousets, marmots, traînant au long des rues
Leur manteau reprisé, leurs godillots troués.
C'est Paname éternel, c'est Paname éphémère
Cité des plâtriers, cité de la Peinture
La ville de Gavroche, effronté, malicieux
Du caf' conc, French cancan, des Gaietés Parisiennes
Ville de Saint Denis, et ville des grisettes.
La Butte est Golgotha, pour l'Aréopagyte.
Rue Lepic, Le Chat Noir, Moulin de la Galette
Place Goudeau, rue Girardon, place du Tertre
La rue du Mont-Cenis, Sacré-cœur, Moulin Rouge.
Les murets décrépits, et les perrons moussus.
La vigne encor mûrit, devant la rue Cortot.
L'on entend résonner, sur les bancs de bois verts
Le cylindre tournant, d'une boîte à musique
Désuète poésie, d'un suranné passé.
Paris gouailleur, Paris moqueur, Paris canaille
Paris poisse et trivial, Paris, Paris-campagne.
Dans ce vieillot quartier, explose l'avenir
Van dongen, Juan Gris, Jacob, Mac Orlan, Cocteau.
L'Atelier de Renoir, au château des Brouillards.
C'est là qu'on festoya, pour le naïf Douanier.
Parmi les prostituées, parmi les Élégantes
C'est là que s'est complu, ce nabot débauché
Toulouse-Lautrec, ce mondain, galant déchu
Peintre des cabarets, chantre de la Goulue
Cachant son désespoir, sous le reflet du strass.
Dans les rues l'on peut voir, le morose Utrillo.
C'est l'enfant du pays, le peintre des faubourgs
Car il n'aime prairies, ni bosquets, ni forêts
Mais la morne façade, aux volets écaillés.
Pour lui, bucolique urbain, citadin champêtre
Les poteaux sont des troncs, le macadam alpage
L'automobile est char, les venelles sont laizes
Car son pinceau décrit, sa villageoise églogue.
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INFORMATIQUE ET POÉSIE ÉPIQUE
2016-10


Le développement historique de l’informatique illustré par la poésie épique nous permet paradoxalement de revenir à la racine de ce genre littéraire, l’évocation du combat dialectique, de la lutte comme source de vitalité, selon le principe hégélien. L’effet littéraire consécutif doit provenir ici de son application à un domaine technique très éloigné du registre traditionnel associé au genre épique, les conflits guerriers, duels, batailles opposant les corps d’armée. C’est la dimension humaine, l’affectivité, voire le ressentiment, la détestation, qui sont mobilisés pour parvenir à cette finalité (Bill Gates comme anti-héros). L’on peut y ajouter l’utilisation d’images grandioses concrétisant le monde abstrait des algorithmes jusqu’à lui prêter une dimension cosmique, voire mystique (l’apothéose de Google).


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La bataille du soft, fait rage et s'envenime
Le conflit des formats, des standards et langages
Par contrats abusifs, perverses protections.
Gimp contre Photoshop, Word contre Openoffice.
Le nain Linux contraint, le géant Microsoft.
Windows, l'usine à gaz, archaïque, obsolète
Que guettent les virus, conçus par les hackers.
Windows raillé, nargué, Windows haï, honni
Lors qu'outsider, Apple, demeure en embuscade
Sur le marché jetant, son dernier MacOS.
Bill Gate essuie procès, pour déloyal commerce.
L'éternel étudiant, qu'admirait la jeunesse
Devient le millionnaire, indélicat, jaloux.
Maintenant le voici, vilipendé, vomi.
L'homme hier était gai, cordial et sympathique.
Voici qu'un amer pli, se dessine en son front.
Son visage est creusé, par la tenace lutte
Son regard endurci, par les années d'épreuves.
Cependant l'Internet, filant son réseau dense
Réunit les humains, en fraternelle entente.
Puis, d'abord minuscule, une étoile nouvelle
Par ses milliards de liens, de pages indexées
Blogs, pdf et portails, sites et fichiers
Gif, jpeg, png, news, pop-up, topics, chats
Wikis, podcasts, maps, vidéos, forums, widgets...
Monte comme un soleil, à l'horizon du net
Google, irrésistible, énorme, éblouissant
Qui pâlit de ses feux, l'ancienne informatique.
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LE DISCOURS IMPOSSIBLE
2016-11


L'on ne connaîtra jamais les paroles que prononça le basileus Constantin lors de la chute de Byzance dans la basilique Sainte-Sophie. Le discours que je lui ai prêté est idéologiquement impossible dans le contexte historique et surtout religieux de l’époque. Je l’ai choisi pourtant volontairement car, en cet instant historique, l’ombre gigantesque de la grande Rome antique s’impose à son substitut médiéval qui en a trahi le génie et en subit le châtiment.


Pendant que l'empereur, médite sombrement
La foule silencieuse, envahit le sanctuaire.
Paralysé, prostré, par l'immense douleur
Constantin, courageux, paraît devant le peuple.

«Douloureux jour, tragique jour, funèbre jour.
Le soleil pourra-t-il, dans le ciel resplendir
Les champs de blé germer, et les fleurs s'épanouir
Lorsque disparaîtra, notre illustre cité?
Se peut-il que demain, Byzance ne soit plus?
Nea Roma pourtant, demain ne sera plus.
C'est l'enfant Romulus, qui tous nous engendra.
Pouvons-nous oublier, nos lointaines racines.
Tu redeviens, Byzance, en ton dernier instant
La ville de Scipion, de Brutus, de Caton.
C'est Rome qui s'effondre, aux boulets des canons.
C'est Rome qu'on meurtrit, lorsque tes vaisseaux coulent.
C'est Rome qui périt, lorsqu'on abat tes murs.
Funeste jour, sordide jour, tragique jour.
Pourquoi souffrîtes-vous, hoplites héroïques
Ce martyre inutile, au val des Thermopyles?
Dans l'Erèbe sinistre, où vos âmes divaguent
De vos pleurs inondez, vos tuniques sanglantes.
Salamine et Platée, vous fûtes vains triomphes
Puisqu'aujourd'hui l'Europe, abdique et se dissout.
Gémissez, gémissez, pleurez, lamentez-vous.
L'Histoire en cet instant, m'anéantit, m'écrase.
Je ne m'appartiens plus. Mon destin me transcende.
J'assume à travers moi, la chute de l'Empire.
Quelle main reprendra, le flambeau qui s'éteint?
Je lance dans la nuit, ce pathétique appel.
Trois mille ans écoulés, jusqu'en ce terme ultime.
La Reine des cités, disparaît à jamais.
Pardon, pardon, pour ceux, qui jadis la bâtirent.
Pardon, pardon pour ceux, qui jadis l'agrandirent.
Pardon, Justinien, pardon Julien, Théodose
Pour n'avoir égalé, votre valeur insigne.
Pardon pour les affronts, que nous fîmes aux dieux.
Je rendrai mon dernier souffle, au sommet des remparts.
C'est ici dans ces murs, que bientôt je mourrai.
Le cœur percé d'un trait, le crâne pourfendu.
L'enfant peut-il quitter, sa mère agonisante?
Par mon dernier soupir, je dirai ton nom, Rome»

Cris, pleurs, gémissements, s'échappent de la foule.
D'un coup, la vaste nef, retentit de clameurs.


PLACE ROUGE 4 OCTOBRE 1957
2016-12


Les grands moments de l’Histoire atteignent sans doute une dimension religieuse leur prêtant une importance fondatrice pour une communauté ou pour l’Humanité entière. Ainsi en est-il de ce 4 octobre 1957 sur la place Rouge. La poésie épique se doit de suggérer l’évènement en évoquant une atmosphère mystique et magique…


Place Rouge - Soir d'octobre - Paisible soir d'octobre.
Verglas, premier frimas - Ténèbres et clarté.
Les croix dorées flamboient, devant la voûte noire.
Le reflet des palais, argente la Moskva.
Pendant aux chapiteaux, aux corniches des toits
Stalactites gelées, sont cristallins pilastres
Jets des vasques figés, sont dentelles de gaze.
Quand s'allument aux cieux, les cosmiques bougies
Que luit au firmament, Solokha, globe pâle
C'est l'heure où l'on éteint, partout dans les campagnes
Dans la modeste isba, l'opulente datcha
La vacillante lampe, et le rayonnant lustre
Mais au cœur de Moscou, tout scintille et brasille.
Tout paraît aujourd'hui, plus beau, plus merveilleux.
Jamais la grande Étoile, au sein des nues glacées
N'avait mieux prodigué, sa chaleur bienfaisante.
C'est Doucha, Douchina, la douce âme qui veille
C'est elle qui répand, sa tendresse en chaque être
L'enfant, la babouchka, le soldat en faction.
Douchina, douchina, sur la ville est posée.
Lors, chaque réverbère, ainsi qu'un cierge brille.
Le faisceau pénétrant, des phosphorescents phares
Dessine sur les voies, de lumineux sillages
Tels une apparition, de filantes étoiles.
Religieux est l'instant, mystique l'atmosphère.
Le brouillard est encens, que verse l'ostensoir
D'un pope gigantesque, habitant dans l'espace.
Les tournoyants flocons, sont bénite aspersion.
L'on sent planer dans l'air, une invisible grâce.
Dans leur pelisse grise, en astrakan fourré
Les dignes officiers, ressemblent aux rois mages.
La cité semble attendre, en extatique pose.
Quel surnaturel signe, apparaîtra bientôt?
Quel avertissement, descendra sur la Terre?
Quel grand événement, dans l'ombre se prépare?
Depuis qu'un jour naquit, la Russie millénaire
L'on croirait que ne fut, plus solennel moment.
Nuit pareille, identique, à tant d'autres passées
Nuit pourtant différente, à nulle autre semblable.
Nuit de Rédemption, nuit, de Purification
De Transfiguration, de Glorification.
Lénine en Majesté, dans sa verrine bière
Saint Alexis le Sage, en sa châsse d'ivoire
Semblent auréolés, d'un éblouissant nimbe.
……………………………………………………


POÉSIE PSEUDO-ÉPIQUE
2017-01


Albinus et son ami Portunus, désapprouvant les mœurs relâchées qui s’étalent dans les thermes, se sont réfugiés dans la bibliothèque de l’établissement (à Rome, les thermes comportaient souvent une bibliothèque associée). En vain se croient-ils préservés, le désagrément qui les attend s’avèrera bien pire. Au-delà de l’anecdote, l’épisode pourrait illustrer (sait-on jamais) une autocritique de l’auteur (pour le personnage, non pour le contenu de ses œuvres). C’est une délectation rare pour un poète que d’écrire lui-même de la mauvaise poésie afin de la stigmatiser! Mais quels poètes se trouvent ridiculisés dans cette poésie amoureuse lénifiante et cet épisode épique granguignolesque? La poésie alexandrine des Bucoliques grecs de l’Antiquité? Pas vraiment. Plutôt, anachroniquement, une critique de la dérive galante où tomba le genre épique pendant la Renaissance, notamment chez un certain Ludovico Ariosto dans son fameux Orlando furioso.


ALBINUS
Il n'y a donc ici, que mensonge et débauche.
Portunus, je crois bien, ne pouvoir m'habituer.
Cette bibliothèque, assure au moins détente
Car la foule est restreinte, aucun bruit n'incommode.
L'on peut là s'évader, en prenant cette Iliade
Sur l'Ida verdoyant, ou près des portes Scées.

PORTUNUS
J'ai bien peur que tu n'aies, las, tôt fait de parler.
Cet homme s'avançant, ne me dit rien qui vaille.

ALBINUS
Mais il paraît pourtant, d'un port majestueux.
Son front doit abriter, des sentences bien nobles.
Sa prunelle est ardente, et son regard est fier.
Sa bouche assurément, ne peut que déclamer
De grandioses discours, de sublimes pensées.
Mais à n'en pas douter, il doit être important
Pour ainsi promener, cet air condescendant
Sur tous les citoyens, qui déjà font silence.
Quels parchemins précieux, déroule-t-il ainsi?
L'on croirait bien qu'ils sont, des ouvrages sacrés.

PORTUNUS
Tu viens, cher Albinus, de ta belle province
Pour n'avoir jamais vu, ce curieux animal.
Cet homme est un bourreau, subtil et raffiné
Savant pour infliger, à son vaste public
Supplices plus affreux, que jamais n'en subirent
Ceux gardés par le monstre, à la tête multiple.
Ces feuillets, crois plutôt, sont bien des étrivières
Des massues qui bientôt, vont assommer la foule.

ALBINUS
Il va donc asséner, ces pesants parchemins...
Sur nos crânes?

PORTUNUS
Non, pis que cela... dans nos oreilles
Car cet homme est nommé, sait-on pourquoi? poète.

LE POÈTE
Hélas, comme elle est triste, Aphrodite-aux-sourires
Le fourbe Héphaistos, toute nue l'a fouettée.
D'une grille en airain, la voici prisonnière.
La fumée la ternit, hélas, trois fois hélas.
Divin Asclépios, viens, la guérir sans tarder.
Mais qui passe par là, vers les rochers d'Éole?
C'est le bouillant Arès, le dieu fort et fougueux
Vainqueur de cent dragons, et de mille géants.
D'un imparable trait, voici qu'Éros l'atteint.
Le vermeil chérubin, lui glisse dans l'oreille
«La déesse qui t'aime, est ici retenue»
Vite, il franchit d'un bond, la ténébreuse grotte
Puis brandit son épée, vers le Boiteux jaloux
Qui s'enfuit en geignant, au fond de sa caverne...
Les amants sont heureux, libres sur le Pélion.
Délices de l'amour, ô merveilleux moment.
Phœbos, retarde ton char, Nuit, sois paresseuse
Pour que puisse durer, leur amoureuse étreinte.
Dis-moi, nymphe indiscrète, épiant leurs doux baisers…

PORTUNUS
Albinus aie pitié, je n'y puis tenir plus.
J'aime autant retourner, dans le tepidarium.
La piètre compagnie, des flatteurs, courtisanes
Me semblera, je crois, beaucoup plus agréable.

ALBINUS
De même les mignons, dans le sudatorium
Seront après cela... pour moi très supportables.


L'ÉCRITURE EUPHONIQUE
2017-02


L'écriture euphonique: une tentative pour fusionner la dimension sémantique et la dimension phonique de la littérature. N'hésitez pas à exprimer votre opinion dans les commentaires de youtube après visionnement de la vidéo et lecture de la démonstration pratique: le récit "Quand les humains se virtualisèrent".


VIDÉO L'ÉCRITURE EUPHONIQUE

https://youtu.be/zG4qJvvOItQ

RÉCIT QUAND LES HUMAINS SE VIRTUALISÈRENT

http://www.claude-fernandez.com/humain_virtualisation.htm



LA FORÊT CELTIQUE
2017-03


Le roman Clairières de Louis Jeanne, - sur les traces de Julien Gracq avec son fameux Balcon en forêt - témoigne du mystère indicible que nous évoque la forêt profonde, selon l’expression consacrée. S’il est un environnement réitéré à de multiples reprises dans la Saga de l’Unviers, c’est bien la forêt, selon toutes ses déclinaisons, depuis sa dimension biologique brute jusqu’à sa dimension mythique plongeant dans l’Histoire et l’inconscient. Ainsi en est-il de cette forêt celtique habitée par d’étranges divinités pour un esprit classique. L’on pourrait néanmoins reconnaître dans Oengus un personnage plus familier. Je ne me hasarderais pas à expliquer cette correspondance: rencontre fortuite ou réelle origine commune, selon la théorie de Georges Dumézil? C’est pour le poète une aubaine et l’occasion d’une belle image.


........................................................
Là, frémit l'Inconnu, vit le sacré Mystère.
C'est le palais divin, l'antre des Immortels.
C'est le gîte enchanté, des fées et des sorciers.
Rhiannon, la triste Mère, au poitrail de cheval
Trottine dans ses lais, sommeille en ses clairières.
Le sanglier de Lug, rode en ses haies touffues.
L'ourse géante Artion, erre dans les sentines.
Kernunnos le grand cerf, couronné de ramures
Sillonne la futaie, comme un trait de sagaie
Lors qu'Épona menant, son troupeau d'étalons
Hante les noirs sous-bois, où les galops résonnent.
Parfois l'on aperçoit, le charmant Oengus
Pressant de ses doigts fins, sa lyre aux sons magiques.
De ses tendres baisers, les ramiers blancs s'échappent.
Le tremble palpitant, germe en ses pas agiles.
Toujours il est suivi, d'un cortège gracieux
De faons roux, de chevreuils, de biches élégantes
Sans fin jouant, cabriolant, caracolant.
De ramées en ramées, dans le cœur des houppiers
Rank, l'écureuil léger, triturant une faine
Capricieux, fait danser, à chacun de ses bonds
Son panache dressé, telle une flammerole.
......................................................


QUAND LA CHIMIE DEVIENT POÉSIE
2017-03


La Chimie, discipline scientifique ancrée dans la Matière par sa substantialité même, représente l’antithèse de la poésie. Elle ne ménage même pas, comme la Physique, une potentielle échappée vers le mystère ontologique des origines. Pourtant, cette chimie pourrait nourrir la veine épique du poète au moins pour trois raisons:

-les noms de ses innombrables espèces, presque toujours d’origine grecque, présentent la qualité phonique de cette langue harmonieuse et constituent une référence littéraire

-au chaos impur de la réalité, le chimiste substitue la pureté des corps moléculaires, solutions ioniques, édifices cristallins... constituant le langage de l’essentialité

-la réaction chimique, transformant réactifs en produits, peut être littérairement assimilée au domaine de la magie...

Essai d’illustration dans cet Historique de la Chimie en mode épique (extrait):


....................................................
Les atomes se lient, se délient, s'éparpillent
Par liaison covalente, unique ou bien multiple
CH4, H2O, KMnO4, Mg
C6H12O6, HCl, HCN...
Chlorate de zinc, soude, acide sulfurique
Cyclohexane, éthanol, phosphore, éthylène...
Mendeléïev construit, sa classification.
Voici les éléments, non-métaux et métaux
Néon, sodium, fluor, fer, carbone, azote, iode...
La réaction chimique, est bientôt maîtrisée.
Henri le Chatelier, décrit les équilibres.
L'analyste repousse, au rang des antiquailles
Les vieux indicateurs, aux changeantes couleurs.
Bleu de Bromothymol, et Rouge de Crésol
Jaune d'alizarine, et phénolphtaléine
Se trouvent remplacés, par un seul Phmètre.
Béchers, erlenmeyers, fioles sont relégués.
La pipette a rejoint, la cornue folklorique.
Spectrographie de raie, spectrographie Raman
Révèlent groupements, des chimiques fonctions.
RMN, RPR, indiquent radicaux.
....................................................


ÉLOQUENCE, DÉCLAMATION, CONSEILS PRATIQUES
2017-04


La langue française présente une codification très précise et peu permissive de son écriture. Au contraire, son oralité supporte de nombreuses variations et ambigüités, de sorte qu’elle procède plutôt de la linguistique. Il faut cependant excepter les règles prosodiques relatives à la poésie qui introduisent dans ce genre littéraire une réelle codification. Elle nous servira de base pour les conseils prodigués - du moins une tentative - dans la vidéo ci-dessous et le fichier correspondant:



AR-MEN, PHARE DE L'ATLANTIQUE
2017-06


Sans doute cet épisode épique Ar-men vaut-il par les extraits musicaux qui s’y trouvent rassemblés plutôt que par les pauvres mots du poème surajoutés par l’auteur. Le combat est trop inégal entre la puissance suggestive de la Musique et les faibles repères, ambigus et arbitraires, du langage. La misérable littérature pourrait-elle, dans cette synthèse difficile - en y adjoignant le magnifique dessin de Renata Nováková-Daumas et la remarquable prestation déclamatoire de Josyane Moral-Robin - approcher le concept d’œuvre d’art total selon l’expression d’Otto Philip Runge (Gesamtkunstwerk) que Wagner illustra.


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LE MIRACLE DU NÉOLITHIQUE
2017-07


Dans l’Antiquité, les aèdes (de ᾄδω: je chante) déclamaient une composition poético-musicale en s’accompagnant d’un instrument. On peut supposer que le poète (ποιητήϛ: terme qui signifie créateur aussi bien que poète) composait lui-même la partie musicale de ses chants (ou récitatifs). De même, je me suis essayé à composer une partie musicale pour mes poèmes épiques, ceci grâce aux ressources de la MAO (Musique Assistée par Ordinateur). Et, par un hasard extraordinaire - quoique je doute beaucoup de ce hasard - le style et l’esprit du poème considéré (Aurore: le Miracle du Néolithique) s’apparente à la poésie grecque antique, notamment par l’utilisation des épithètes, éponymes d’un certain poète (ou plutôt créateur) qui vivait il y a plus de 2500 ans sur une île de la Mer Égée.


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CHARLES QUINT À YUSTE
2017-08


L’homme retiré dans le monastère de Yuste (en Estrémadure) n’est pas un moine ordinaire. Il revoit sa vie tumultueuse, remplie de gloire, mais aussi de rancœurs, rancœurs à l’égard de sa mère, et surtout à l’égard d’un certain François…


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LE E DANS TOUS SES ÉTATS
2017-09


Le E dans tous ses états: les différentes formes du e dans le discours oral: une vidéo sur un sujet un peu ingrat, destinée à mieux comprendre la notion d’euphonie présentée dans une vidéo précédente.


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MAGELLAN ET L’OCÉAN PACIFIQUE
2017-11


Après avoir vaincu l’Atlantique et ses tempêtes, Magellan aborde un espace maritime d’autant plus redoutable qu’il est uniforme et calme. Tour à tour, peur, souffrance, espoir, désespoir, solidarité animeront l’équipage jusqu’à la délivrance. La victoire de l’Homme sur la Nature semble représenter la conclusion et le sens de cet épisode où Magellan occupe la place du héros principal. Cependant, sous l’apparence de la convention humaniste traditionnelle, c’est en réalité l’Océan Pacifique, dans sa dimension planétaire, qui apparaît comme l’élément le plus important du récit.


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LA CONQUÊTE DU FEU
2017-10


Le mythe prométhéen revisité par l’action hardie d’un Néanderthalien lors d’un incendie. À cette illustration conventionnelle du Progrès combattant l’obscurantisme de la Tradition se surajoute le mythe non moins conventionnel de l’inventeur réprouvé par sa communauté rétrograde et jalouse, mais que l’avenir devra nécessairement réhabiliter. “Le cadavre est à terre et l’idée est debout”, écrivait Victor Hugo en ce temps où la littérature se voulait édification. La ferveur idéologique des Lumières, dans cet épisode épique, devient une pure séquence théâtrale dont il ne faut retenir que les effets scéniques.


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MARIE ANNE D’AUTRICHE ET VELASQUEZ
2017-12


Téméraire, Marie Anne d’Autriche est partie de l’Escorial dans une Europe à feu et à sang afin de rejoindre la cour impériale d’Autriche où elle deviendra impératrice. Elle rencontre à Naples Velasquez - peintre hispano-portugais, icône des Habsbourg - qui la portraiture. Échange empreint de noblesse entre la princesse et l’artiste, déférence, admiration. Comment ne pas résister à imaginer, sous ce langage (trop) policé, une interprétation déconstructive moderne. “Diego, si tu es si inspiré pour me peindre, c’est bien sûr parce que je suis la plus belle, plus qu’Antonietta, plus qu’Angiolina.”. Malicieuse, la princesse! Et au passage, elle égratigne gentiment les copines… Quant à Diego, quoiqu’il fasse (faussement) la carpette devant la fille, ne l’utilise-t-il pas pour sa propre gloire?



LEMMINKAÏNEN
2018-01


Comment définir Lemminkaïnen, héros de la Carelie antique: une sorte d’Achille truculent, vantard, une tête brûlée, bretteur impénitent, séducteur invétéré, un Nozdref, cette espèce de Marseillais russe qu’imagina Gogol. Son évocation (dans l’épopée apocryphe d’Elias Lönnrot, le Kalevala) illustre le niveau le plus basique, mais aussi le plus essentiel de la figure légendaire épique occidentale. L’invective qu’il profère à l’égard de l’ennemi dans un langage fleuri n’est qu’une provocation rituelle dénuée de toute intention haineuse. De même les propos faussement injurieux exprimés ici par le fabre Ilmarinen à l’intention du héros, n’ont d’autre but que de sceller la camaraderie virile entre pairs. L’épisode ci-dessous se conçoit naturellement comme une libre variation, tout aussi (peu) authentique, suggérée par l’épopée finlandaise.


Ilmarinen dit «Lemminka, ô, fanfaron
Bonimenteur, bravache, ô coureur de jupons
Réveille ta valeur, il nous faut guerroyer.
Par le mitan brandis, ta lance étincelante
Par la guiche suspends, ton bouclier bien rond
Par la garde secoue, ton glaive à lame fine»
Point ne se fait prier, le héros valeureux.
Par le mitan brandit, sa lance étincelante
Par la guiche suspend, son bouclier bien rond
Par la garde secoue, son glaive à lame fine.
«Suivez tous, venez tous, enfants de Carélie.
Filles de Pojhola, mes genoux baiseront
Filles de Pojhola, de pleurs me couvriront
Car je suis meilleur preux, de tout Kalevala.
Guerriers de Pojhola, moineaux pusillanimes
Gorets ventripotents, couards, poltronnes brebis
Guerriers de Pojhola, tremblez car nous voici.


DISCOURS DE CONSTANTIN
À SAINTE-SOPHIE
2018-02


Version déclamée du fameux discours de l’empereur Constantin en la basilique Sainte-Sophie de Byzance lors du siège de la ville par Mehmet II. Un discours inimaginable historiquement, sauf par un poète épique passablement azimuté... Il faut cependant interpréter comme une illustration de la tendance qui s’était exprimée réellement par les voix de penseurs comme Celse, Porphyre de Tyr, Julien l’Apostat, prônant une condamnation virulente du judéo-christianisme. L’effet recherché par cette réalisation musico-textuelle est une amplification du pathétisme qui appuie et justifie par elle-même le contenu idéologique du discours.

Note: L’on ne confondra pas le dernier empereur de Byzance avec Constantin, dit le Grand, qui inaugura la ville, ni avec Constantin, dit Porphyrogénète.



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ALEXANDRE LE GRAND DEVANT LA MER MORTE
2018-03


L’on ne sait trop ce que vit, crut voir ou prétendit avoir vu Alexandre le Grand en contemplant la Mer Morte quand il traversa la Palestine. À moins que ce ne soit la seule imagination du poète que lui ait prêté ces visions. J’avoue que ma documentation concernant l’écriture de cet épisode est lointaine.



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L’ÉVOLUTION BIOLOGIQUE
2018-04


Sans doute est-il possible de suggérer la dimension épique sans alléguer la conception hélégienne de la Dialectique, mais celle, opposée, de la solidarité chère au “Prince anarchiste” Piotr Alexeïevitch Kropotkine. Et paradoxalement, l’effort scientifique qui permit la théorie de l’Évolution biologique, suivant le principe de la struggle of life, en est un exemple.


L'Évolution, plus vaste, immense conception
Théorie lumineuse, audacieuse, admirable
Magistrale hypothèse, intégrant le savoir
Plus grandiose aventure, associant tant d'acteurs
Plus formidable essai, de reconstitution
Que put réaliser, l'intelligence humaine
Plus ambitieux projet, plus vaste construction
Mobilisant l'apport, multidisciplinaire
Géomorphologie, paléontologie
Cosmologie, systématique, atomistique
Stratigraphie, cristallographie, tectonique
Dendrochronologie, paléogénétique
Biochimie, zoologie, palynologie
Combinant induction, logique et déduction
Méthode synthétique, analytique approche
L'Évolution, plus vaste, immense conclusion
Plus gigantesque effort, plus étendu labeur
Que jamais entreprit, une communauté
Le raccourci hardi, résumant, décrivant
Quatre milliards d'années, sur toutes biocénoses
De la Pangée primaire, aux continents actuels.


LA GRANDE MURAILLE DE CHINE
ET LES HIONG-NOU
2018-05


La Grande Muraille de Chine, seul monument - dit-on du moins - visible de la lune, est certainement la création humaine architecturale la plus grandiose qui ait été réalisée comme peut l’être sur le plan scientifique la reconstitution paléontologique de la Vie (célébrée dans une lettre antérieure). Et de même, cette Muraille , symbole représentant la prééminence de la Paix sur la Guerre, de la protection sur l’agression, se prête à une évocation épique (lato sensu au sens initial de ἔπος) autant, sinon mieux, que les campagnes militaires des plus fameux conquérants. Elle magnifie également le triomphe de l’effort, de la patience sur la violence et la destruction. .



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FRANÇAIS ÉCRIT, FRANÇAIS ORAL
Débat Librairie Les Volcans
Clermnt-Ferrand 63000
2018-06-01


Nul extrait de poésie épique pour cette lettre de diffusion, mais la vidéo réalisée lors du débat Français écrit Français oral Débat animé par Georges Giraud, professeur de Lettres Classiques & Claude Ferrandeix, auteur-déclamateur à la librairie Les Volcans Clermont-Ferrand. Les intervenants de ce débat voudront bien nous excuser d'avoir écourté leurs interventions, nous avons nous-mêmes écourté les nôtres. Un débat qui s'est terminé en pugilat (néanmoins uniquement intellectuel), ce qui m'a permis de clore cette séquence par un effet de smorzando, terme propre aux nuances indiquées en italien sur les partitions musicales (vous comprendrez cette remarque en écoutant la vidéo). Mon collègue Georges Giraud s'était présenté sous l'image rassurante d'un grammairien sectaire et conservateur, mais certaines personnes de l'assistance, horrifiées, ont découvert qu'il était en réalité un dangereux gauchiste partisan d'un changement révolutionnaire de la langue: supprimer les accents circonflexes. Quant à moi, Claude Ferrandeix, j'ai sans doute passé pour un extravagant complètement azimuté, un Martien qui se serait mêlé d'inventer une nouvelle manière d'écrire le français littéraire...



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ANKHSÉNAMON ET LES CHATS SACRÉS
2018-06-15


Cet épisode poétique dans le contexte de l’ancienne civilisation égyptienne illustre la profonde affinité qui peut unir la Femme et le Chat. L’une et l’autre, pour leurs meilleurs représentants, peuvent sans doute atteindre une Beauté transcendante et fascinante. La Femme possède sur le Chat l’avantage de l’intellection (selon la traduction convenue du terme utilisé par Aristote νόησις qu’il prête à l’espèce humaine en général), mais le Chat reflète la Puissance et il possède son instinct (comme tous les animaux), la maîtrise de soi, la placidité, la patience… Rétif à toute soumission, il manifeste un sens supérieur de la noblesse...



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Bataille d’Issos vidéotexte
2018-07-01


Au cœur de la poésie épique, l’évocation d’une bataille peut revêtir un infinie diversité d’aspects sur le plan littéraire. J’ai traité la bataille d’Issos, opposant Alexandre à Darius, en premier lieu de manière à magnifier le célèbre général macédonien selon l’image traditionnelle véhiculée par sa légende. Les éléments descriptifs de chaque armée exploitent les spécificités que l’on attend de ces civilisations opposées, autant sur le plan matériel que mental. Il en résulte un tableau où prime l’effet poétique, gommant toute référence à la violence réelle de l’épisode. On peut apprécier - ou pas - cette transmutation poétique de la réalité historique.



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E caduc Complément
2018-07-06


Complément sur les e caducs: différentes formes d’une entité lexicale en fonction du e caduc, comparaison avec l’italien. Une vidéo qui ne passionnera pas tous les internautes, mais peut-être quelques-uns… qui adorent - ou abhorrent - ces e si spécifiques à la langue française.



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LE DÉBUT DES TEMPS
2018-07-19


Vous pourrez lire ci-dessous les premiers vers de la Saga de l'Univers, poème épique consacré à l'Univers depuis sa formation lors du Big-bang jusqu'à sa dissolution hypothétique à la Fin des Temps. Cette introduction par des notions négatives vise à suggérer cet état miraculeux, fascinant de l'Origine. Il existe paradoxalement un vocabulaire pour cette description, probablement par pure antithèse aporique de concepts désignant des réalités (le Rien pour le Tout, l'Absence pour la Présence, le Néant pour l'Existence...), termes sans doute illégitimes philosophiquement et scientifiquement, mais si précieux littérairement.

Note: Je rappelle que je prête à la virgule le rôle de césure (à défaut d'un autre signe convenable), ceci afin d'éviter une lecture erronée des alexandrins. Cette initiative s'inscrit dans le cadre des licences poétiques survenues notamment dans la seconde moitié du 20e siècle en ce qui concerne la ponctuation. Si certains sont gênés à la lecture par cet emploi de la virgule, ils peuvent me le signaler en réponse à ce courriel.


Rien ne vit - Rien ne luit - Rien ne semble exister
Dans l'immobilité, du cosmos immuable.
Rien ne semble animer, le gouffre impénétrable.
Vacuité continue... fascinante, effrayante
Vertigineuse, incommensurable, uniforme.
L'on ne distinguait haut, ni bas, ni droite et gauche.
Passé, présent, futur, sont confondus, unis.
De vagues points chatoient... pâles et minuscules
Tels d'infimes flocons, d'intangibles grêlons
D'énigmatiques yeux, de mystérieux foyers
Glaciale fixation, minérale, impassible
Reflets de l'Irréel, apparition du Songe
Maturations de l'Être, au milieu du Néant
Germes luminescents, de l'antre obscur, opaque
Vision, mirage, image, identique, éternelle
D'un monde pétrifié, dans un profond sommeil
Gelé, figé, noyé, par l'infinie Durée
Monotone torpeur, d'une absence ineffable.
C'était l'Instant premier, de l'Espace et du Temps.


De Gaulle et la guerre d'Algérie
2018-08-19


De Gaulle et la guerre d'Algérie. L'on attend d'une telle évocation par un poète épique contemporain du sujet un contenu passionné, partisan, voire polémique sur les notions de colonialisme, de patrie... à la mesure de ce que fut l'évènement historique, encore présent dans les mémoires. J'ai choisi l'inverse. Non pas une description froide, objective, mais une vision suggestive qui tente d'illustrer l'ampleur du traumatisme tout en réservant mon jugement ou plutôt en laissant transparaître un état d'indétermination, notamment par le procédé de l'interrogation. Ainsi, l'affirmation d'une opinion idéologique n'apparaît pas comme une intention majeure du discours qui se fût substituée à l'expression du contenu poétique. La brièveté du récit, le souci littéraire évident de tisser une métaphore, l'accumulation des oxymores renforcent encore cette attitude.



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Mais le colonialisme, au Général s’impose.
Le colonialisme, atout, chance, échec, boulet
Fleuron sinon furoncle, ornant, défigurant
Le front de la patrie, la chair de la nation.
Faut-il choisir, opter, pour une Algérie libre?
Ne faut-il retirer, ce douloureux cancer
Ne faut-il arracher, ce gangréneux organe?
Chirurgie palliative, obscène charcutage
L’amputation hardie, laisse des cicatrices
Les Harkis, les Pieds-Noirs, attentats, convulsions.
Puis la hideuse plaie, se résorbe dans l’ombre.
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Une didascalie pour la déclamation poétique
2018-09-10



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Mao-Zedong et Chiang Kai-shek
2018-11-03


La mise en perspective épique nécessite parfois de sublimer l’Histoire, de l’enjoliver ou de la noircir. Elle s’apparente au phénomène collectif de l’héroïsation nous présentant des personnages historiques sous des traits quasiment divins selon le principe de l’évhémérisme. A contrario, il arrive parfois que les faits proposent par eux-mêmes tous les ingrédients d’une dimension épique. N’est-ce pas le cas de cette rencontre entre Mao-Zedong et Chiang Kai-shek... À moins que le récit de l’historien, rejoignant le poète, ne soit lui-même un travestissement d’une réalité plus insaisissable que l’imaginaire.


Chiang, Mao, pourrait-on, prévoir une rencontre
Plus incroyable, insolite, inimaginable?
Patricien, plébéien, maître devant esclave.
Pourrait-on concevoir, deux personnalités
Deux tempéraments, deux complexions, deux natures
Plus ennemis, opposés, plus antinomiques?
L'un, brillant revêtu, d'un superbe uniforme
L'autre en simple habit gris, de révolutionnaire.
L'un acharné, bouillant, l'autre pondéré, calme.
L'un superbe et cynique, arrogant, flamboyant
L'autre modeste, effacé, placide et patient.
Mao, Chiang, pourrait-on, confronter deux humains
Plus radicalement, se niant, s'ignorant?
L'un fils de paysan, l'autre d'aristocrate.
Nombreux sont les guerriers, commandés par chacun
Mais l’un d’eux cependant, moins que l’autre est puissant.
Tel fut jadis Achille, auprès d’Agamemnon.
Tous deux sont beaux, tous deux sont ardents, forts, tous deux
Sont l'honneur de la Chine, et l'honneur de leur caste.
L'un par sa pauvreté, l'autre par sa richesse
L'un par l'humilité, l'autre par la fierté.
Le peuple voudrait voir, l'entente les unir
Car il chérit tous deux, ces héros magnifiques.
Les mortels ennemis, deviendraient-ils alliés?
Mais un ressentiment, profond, inexorable
Dans chacun d'eux remue, leur cœur dans leur poitrine.

L'entrevue de la paix, débouche sur la guerre.


On a marché sur la Lune
2018-12-01



C’est une jouissance particulière pour un poète épique épris de lyrisme et de pathétisme que d’écrire un poème anti-épique. Un poème qui transforme un évènement majeur de l’Humanité en bouffonnerie naïve. Simutanément et opportunément, une caricature de l’esprit américain, ces Américains dont on a pu dire qu’ils étaient (vus par les Européens) de “grands enfants”. Il reste tout de même la phrase ultime, ultra-célèbre, inévitable qui (pourrait) (aurait pu) exprimer quelque grandeur, mais dégonflée (peut-être... ou pas ? je n’en sais rien) par l’incantation ridicule, ébauche de prosopopée, prêtée précédemment au “héros”. À moins que l’on ne retienne la déformation de la formule afin de la plaquer sur le rythme de l’alexandrin. Difficile de prévoir ce qui va se passer dans la tête du lecteur quand l’auteur lui-même ignore ce qui se passait dans la sienne au moment de l’écriture. Et naturellement, pour enrober le tout, le titre pour cet épisode s’imposait.

Après qu'il fut sorti, de son module étroit
Le commandant Armstrong, en sa combinaison
Posa le pied, badin, sur la déserte Lune.
Tel un enfant découvre, un fantastique jeu
Le voici qui s'ébroue, qui marche et puis gambade
S'extasiant de sentir, son corps aussi léger.
«Hello, mers de poussière, et vous, béants cratères
Vous ne m'attendiez pas, si vite auprès de vous
Mon drapeau constellé, vous tiendra compagnie»
Pensait-il égayé, par son exploit nouveau.
Puis il dit simplement «Ce n'est qu'un petit pas
Mais pour l'Humanité, c'est un immense bond»