LE FRANÇAIS - SES QUALITÉS, SES DÉFAUTS


C’est la lecture de l’ouvrage “Le Français, dernière des langues” par Gilles Philippe (professeur à l’Université de Lausanne), paru aux Presses Universitaires de France (2010) qui m’a incité à créer cet article et la vidéo correspondante.

Je voudrais ainsi en tant qu’auteur-déclamateur, préciser mon opinion concernant la langue française sur le plan de l’esthétique littéraire. Je voudrais également témoigner des difficultés que j’ai rencontrés dans l’écriture et la déclamation en fonction de la conformation particulière de cette langue.

Et ce sera l’occasion de présenter la théorie de l’écriture euphonique, comme palliatif pour tenter d’éviter certains défauts originels de la langue, s’il est possible.


Synopsis de l'ouvrage de Gilles Philippe

Commençons par un bref synopsis de l’ouvrage de Gilles Philippe qui nous servira de guide.

Le français, dernière des langues est essentiellement un ouvrage d’historiographie qui recence et commente les jugements - en particulier négatifs - émis par les lettrés et auteurs, sur la langue française. Précisons que ce sont majoritairement des auteurs et lettrés de langue française qui critiquent leur propre langue.

Dans une première partie, le repère est essentiellement chronologique et l'on peut distinguer schématiquement - sans absolu - différentes périodes qui ont cristallisé le débat sur un thème ou une langue:

-plutôt au 17ème siècle, c’est la comparaison avec les langues anciennes qui domine le débat

-au 18ème siècle, la polémique se concentre surtout sur la comparaison avec l'italien, notamment l'on peut signaler la pàolémique entre Voltaire et Deodati di Tovazzi.

-au 19ème siècle, la comparaison avec l’allemand devient une proccupation des élites, notamment avec Mme de Staël

-au 20e siècle, c’est la lutte contre l’influence de l’anglais qui monopolise le débat

Dans une 2ème partie, l’auteur se livre à une analyse thématique des aspects qui ont alimenté le discrédit du français par ses propres élites. Sont développées notamment les questions suivantes: le français est il une langue poétique ou apoétique? est-il musical ou non? est-il adapté à l’expression philosophique, scientifique ou pas? est-il une langue abstraite, rigide, est-il une langue trop analytique?


Défauts avérés... ou pas

Revenons sur les défauts. Le réquisitoire est sévère depuis La Harpe au 18ème siècle jusqu’à Charles Bally au 20ème siècle. Voici une liste (non exhaustive):

-l’importance des mots grammaticaux (prépositions, auxiliaires)
-pauvreté lexicale
-rigidité, capacités d’inversion très faible
-complexité scripturale déphasée par rapport à l’oralité
-le caractère de langue superficielle qui évoque la surface des choses, pas leur profondeur, langue de la conversation, aimable, voire perfide
-absence de scansion, monotonie, amélodisme
-ambiguïtés permanentes, quiproquos incessants
-langue obscure, peu claire
-langue trop analytique, aride, froide, peu littéraire
-langue apoétique

Je ne discuterai pas chacune de ces critiques, ce qui nécessiterait des développements importants.

Je voudrais plutôt formuler quelques idées générales en tant qu’auteur-déclamateur sur l’esthétique de la langue, les difficultés qu’elle peut poser pour l’auteur ou le déclamateur. Cela en évitant d’entrer dans le détail technique conformément à l’ouvrage de Gilles Philippe.


Indétermination de la prose

Sans vouloir achever la moribonde déjà bien agonie, je rajouterais un défaut: l’indétermination orale de la prose par rapport à l’écrit.

Contrairement à la poésie, la prose laisse à la discrétion du lecteur de nombreuses indéterminations. Elles sont consécutives du système à mon avis très contestable des e caducs (autrefois appelés e muets), aux liaisons et aux arrêts temporels. La conséquence, c’est que l’auteur n’a pas la maîtrise de son texte, notamment le registre de langage.

Comme palliatif, dans le cadre de l’écriture euphonique, je propose d’éviter les e post-accentuels terminaux (les e caducs à la fin des mots) dans le flux. Pour éviter les arrêts, je préconise d'utiliser au lieu d’une virgule - signe impliquant obligatoirement une pause - un signe de coupe simplifié qui signifie une inflexion vocale.

Pour plus d’informations, se reporter à l'article sur les préconisations de l'écriture euphonique:

L'écriture euphonique


Poésie à scansion déficiente

Concernant la poésie française, je dois avouer que je n'y trouve pas de défauts fondamentaux, sauf sur les deux points suivants: la tolérance aux cacophonies consonantiques plutôt qu’aux cacophonies vocaliques qui s’est instituée à partir du 17e siècle, c’est-à-dire le heurt des consonnes qui a été toléré contrairement à la rencontre des voyelles entre les mots. Cependant, rien n'interdit de suivre Boileau suggérant dans l'Art poétique de proscrire les cacophonies, sans distinction de type.

Quant à la rime en fin de vers, elle me paraît avoir été beaucoup employé depuis le 16e siècle selon des conditions qui ne lui prêtent que trè peu d'efficience.

On a reproché (Gilles Philippe en témoigne) au vers français des appuis toniques insuffisants, variables et anarchiques. À mon avis, c’est plutôt une question d’interprétation orale inadéquate, du moins en ce qui concerne le vers classique.

Et c’est vrai aussi qu’en raison d’un hiatus important entre la scripturalité et l’oralité (l’absence de marquage des césures notamment), les déclamations sont très souvent entachées d’erreurs.

C’est la raison pour laquelle j’ai adopté en remplacement des virgules les signes de coupe et de césure utilisés par les universitaires en analyse prosodique. Tout cela reste une question de forme ou d’interprétation qui ne remet pas en cause la prosodie poétique.

Voilà pour les défauts principaux auxquels je me suis trouvé confronté en tant qu’auteur-déclamateur, en prose et en poésie. Essayons de voir maintenant si l’on peut concéder quelques qualités à cette gueuse fière qu’est la langue française, selon le terme de Voltaire. Tentons de ranimer son cadavre si toutefois il bouge encore.


Revaloriser la langue française… s’il est possible

Pour cela, continuons de suivre Gilles Philippe dans son ouvrage. Malgré tous ses défauts, le français est une belle langue, finit-il par avouer.

C’est en effet sur la seule base de ses sonorités et de sa mélodie qu’une langue est jugée belle ou laide (p 213)

C’est bien cette qualité sur le plan phonique, me semble-t-il, qui permet de sauver la langue française, en dépit de tous ses défauts, avérés ou pas. Et c’est probablement ce critère qui fait dire à Claude Hagège que l’anglais, a contrario, n’est pas une belle langue.

Les qualités de la langue française, me semble-t-il, sont consécutifs de sa fluidité, de ses sonorités douces (notamment le r non roulé), de sa remarquable diversité de voyelles.

Et surtout ses accents toniques très peu marqués lui communiquent une impression de noblesse naturelle. Et c’est vrai que comparé au français, toute autre langue apparaît plus ou moins proche du terroir. Son amélodisme, par rapport à l'italien, constitue pour moi une qualité dans le sens où le français me semble mieux adapté à la déclamation alors que l'italien est mieux adapté au chant.

Par ailleurs, je récuse l'idée répandue selon laquelle des accents toniques forts représentent une qualité. Cela me paraît plutôt un défaut en prose. En poésie, un marquage discret de la scansion me paraît préférable.

Ceci n’empêche pas d’autres langues d’atteindre une autre esthétique par des moyens parfois opposés. L’allemand, par exemple,avec ses sonorités plus heurtées, me paraît aussi une très belle langue.

Qu’en est-il de l’affect évoqué par la langue française? Contrairement à certains critiques, je ne pense pas que cette langue soit dévolue uniquement à la légèreté.

Elle présente des sonorités nettes, franches, vives, aiguës parfois, mais aussi des sonorités pleines, rondes (notamment grâce aux nasales), ce qui lui permet de se prêter à tous les registres, pas uniquement celui des conversations superficielles.


Quelques exemples... en poésie uniquement

Voltaire, à mon avis, l’a magistralement illustré dans la Henriade, poème épique d’esthétique apollinienne, une œuvre à mon sens injustement dévalorisée parce qu’on l’a considérée sur le plan idéologique et non purement littéraire.

Autre exemple: Baudelaire l’a utilisée dans le cadre d’une esthétique très wagnérienne, si on peut se permettre ce rapprochement entre expression littéraire et musicale.

Hugo l’a exploité selon un lyrisme grandiose dans de vastes poèmes épiques, notamment la Légende des Siècles.

Enfin, je citerais Lecomte de Lisle, qui lui a communiqué une âpreté presque barbare dans ses Poèmes éponymes (Poèmes barbares), en particulier son Caïn, peut-être un des plus grands poème de la langue française.


Violenter la langue !

Je voudrais terminer par une idée paradoxale signalée par Gilles Philippe, idée qui, nous dit-il, se développa au 19ème siècle selon les termes suivants:

On ne peut faire de la littérature qu’en faisant violence à la langue, c’est-à-dire en créant une langue à l’intérieur de la langue. (p 51)

Cette langue à l’intérieur de la langue, c’est d’abord celle de la littérature, et plus spécifiquement encore, finalement, n'est-ce pas la poésie?

Et j’utilise cette idée comme argument pro domo, si l’on peut dire. Chaque auteur doit tenter de hausser la langue en la débarrassant de ses imperfections, pour l’orienter vers une forme toujours plus élevée.

L’écriture euphonique que je promeus tend à renforcer l’esthétique de la langue française, notamment par une convergence de la prose vers la poésie. Cette écriture s’inscrit, me semble-t-il, dans son génie propre en gommant ses aspérités, en amplifiant sa fluidité.

ARTICLES COMPLÉMENTAIRES - VIDÉOS