LE RÉCIT DE LA TERRIENNE

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant l’avenir de l’Humanité: destruction de la planète Terre par la guerre nucléaire, fuite d’un vaisseau spatial dans le cosmos...


La vacuité régnait" dans la pièce incurvée.
Les murs iridescents" de leurs interférences
Tels au bas d’un pilier" tore alternant scotie
Versaient dans l’atmosphère" en spectrales images
Leur diffuse lumière" isochrome" isotrope.
Nul objet matériel" n’accrochait le regard.
L’on distinguait pourtant" vaguement" faiblement
Tubérosités' nodosités' apophyses
Grimpant sur les parois" s’étalant au plancher
Des saillies et des creux " tels fantaisistes sièges
Que partout recouvraient" des limbes et rhyzomes.
C’était l’être indécis" chimérique entité
L’hybride fabuleux" entre plante et sofa
Mobilier végétal" que rien ne réfrénait
Dans son exubérance" opulente" épanouie
Sa volubilité" luxuriante' abondante.
Les frondes étalées" sont coussins confortables.
Des lenzites fendus" façonnent accoudoirs.
Les tapis sont formés" de moelleux muscinés
Les rideaux constitués" en grêles pariétaires.
Les branchages sont dais" les colonnes sont troncs.
  L’arbuste est lampadaire" aux globes mordorés. (*)
Dans le dense réseau" des rameaux immobiles
Se mouvaient" silencieux' des rais holographiques
Projetant sur l’espace" un mouvant univers
De vasques et podiums" pergolas et pagodes.
L’évanescent ballet" des labiles structures
Se déployait sans fin" par un lent processus
Figeant et fusionnant" les virtuelles images
Comme l’exécution" d’une macrocommande
Sans faille interprétant" son booléen programme.
Tout semblait se dissoudre" en un rêve éthéré.
L’on semblait au Jardin" que l’Hespéride habite.
Vers le fond de la pièce" à travers les palmures
Les réverbérations' réfractions' nitescences
Qui dans l’œil projetaient" leurs virides phosphènes
Se dessinait" oblong' minuscule' un hublot.
Sur le cosmos uni" qu’émaillaient les étoiles
Comme par la pinnule" insérée dans un dioptre
L’on distinguait le bras" de l’orbital anneau.
Barrant l’axe animé" d’une giration lente
Brillait de haut en bas" en lettres cinabrines
«Deux mille trois cent neuf" astronef Eurasia»

Au-delà de la salle" on perçut brusquement
Tel onde cascadant" un flot de légers rires.
Dans un passage ouvert" sous l’épaisseur des palmes
C’est alors qu’apparut" un angélique essaim
Joyeuse réunion" de sémillantes filles
Vivantes perfections" réelles hypostases.
Leur peau blanche semblait" rivaliser d’éclat
Mais aucune pourtant" ne pouvait prévaloir
Dans cet combat égal" d’absolue pureté.
Leur ample chevelure" à leurs pieds descendait
Scintillant et luisant" du bleu noir au blond vif.
Certaines revêtaient" chitons éblouissants
Quelques-unes montraient" complète nudité
Sans pudeur exhibant" leurs sculpturales formes.
La corporéité" la spiritualité
Sublimées" transcendées' en elles s’unissaient.
Leur physique harmonieux" présentait l’équilibre
De l’intériorité" de l’extériorité
La fructueuse union" la féconde fusion
De libre fantaisie" de rigueur élégante.
Leur paisible regard" induisait' assemblées
Spontanéité' réflexion' concentration.
Leurs traits adolescents" révélaient' confondues
L’adulte gravité" la candeur enfantine.

Dans la végétation" toutes s’éparpillèrent
L’une penchée vers l’autre" allongées' accroupies
Se tenant par la main" s’enlaçant par les bras.
Si dans les cieux vivaient" de chastes bacchanales
Cette assemblée profane" en serait une image.
L’on pouvait discerner" par bribes des propos
Qu’entre elles échangeaient" les belles jouvencelles.
«Ce grand jour est important" pour notre formation»
Car désormais personne" ici ne pourra voir
La femme qu’aujourd’hui" nous allons rencontrer»
«La voici maintenant" l’unique rescapée
Le dernier des humains" qui soit né sur la Terre»

L’on entendit soudain" l’écho d’un gong puissant.
Vers la paroi s’ouvrant" les têtes s’orientèrent.
D’un pas lent" chancelant' se déplaçait l’aïeule
Femme âgée" fatiguée' par le poids des années.
Sa face était ridée" ses membres décharnés
Cependant l’on sentait" prégnant' inaltérable
Malgré sa lassitude" et sa décrépitude
Ressortir en ses traits" un charme juvénile
Reliquat rémanent" de l’ancienne fraîcheur.
Son tranquille regard" ne pouvait irradier
Le rayonnant éclat" des ardentes passions
Mais reflétait" profond' sérénité' sagesse.
La pensée recréait" la jeunesse épanouie
Qu’avait fanée" flétrie' l’outrageante vieillesse.
L’on entendit" léger' au sein de l’assemblée
Des bruissements discrets" de frémissants murmures.
Les filles contemplaient" fascinées' figées' Celle
Qui foula de son pied" le Monde originel.
Toutes savaient déjà" qu’elle devait mourir.
L’émotion les saisit" jusqu’au fond de leur âme.

Puis ce fut le silence" et l’ancêtre parla.

*

«Mes enfants' permettez" que je vous nomme ainsi.
Voilà qui me rappelle" un primordial instinct.
Vous ne le subirez" dans votre vie future.
L’amour que j’ai pour vous" m’exalte et m’étourdit.
Je naquis autrefois" d’un ventre maternel.
Sachez que je mourrai" dans la présente année
Car je ne veux poursuivre" en ce précaire état
Mon existence vide" aussi bien qu’inutile.

Vous êtes Perfection" vous êtes Beauté pure.
L’hyperféminité" s’épanouit en vos membres.
Vous êtes l’angelot" que Raphaël peignit
La sainte Beatrix" imaginée par Dante
Laure' image absolue" que Pétrarque adora.
N’êtes-vous devenues" de vraies divinités?
Cet orbital anneau" gravitant sur lui-même
N’est-il pas un Olympe" au-dessus de la Terre?
N’êtes-vous des Pallas" des Vénus' des Létos?
Le cerveau gouvernant" la spatiale station
Géant ordinateur" quantique et neuronique
De ses faisceaux laser" défiant les ennemis
N’est-il pas Zeus puissant" qui lance des éclairs?
Si nous pouvions le voir" en son apothéose
Découvrir' ô stupeur" et fixer' rayonnant
Ce phénomène pur" de vive intelligence
Contempler son réseau" de fibres et d’axones
La face hérissée" le regard terrifié
Ne risquerions-nous pas" d’en être foudroyées?
Vous semblez être femme" et n’êtes pourtant femme
Car vous ignorerez" le désir de la chair.
Nulle trivialité" ne doit blesser vos yeux.
Vous ne connaîtrez pas" turpitudes sexuelles.
Demain vous connaîtrez" la bienheureuse vie
D’amour et volupté" méditation profonde.
Vos âmes atteindront" le nirvana suprême.
Sachez que j’enfantai" comme aux temps archaïques.
Mon flanc se déforma" s’arrondit' puis s’ouvrit.
Mais je vois que l’horreur" décompose vos faces.
N’en soyez pas outrées" n’en soyez dégoûtées
C’était l’acte obligé de la procréation.
Par bonheur cette époque" est enfin révolue.
Vous fûtes embryons" du commun gynécée
De verre et de métal" que la semence emplit.
Ne serais-je pour vous" madre dolorosa
Ne serais-je Gaïa" qu’Ouranos engrossa?
J’étais soumise' enfant" à la défécation.
J’appris à consommer" nouvelle nourriture
Qui permet d’éviter" météorisation
L’ambroisie délicieuse" à la pulpe fruitée
Simulant par son goût" les présents de Pomone
Le nectar succulent" ce breuvage imitant
Le marc aux sombres feux" don précieux de Bacchus.
Je vais donc vous conter" avant de vous quitter’
Ma terrienne existence" au milieu des périls.
Je serai pour vous Urd" la Norne germanique.
C’est un passé lointain" pour moi qui suis trop vieille
Dans mon souvenir pâle" enfoui depuis longtemps.
Dois-je évoquer pour vous" cette horrible violence?
Dois-je éviter plutôt" la barbarie navrante
Pour ne pas trop choquer" vos sensibles cerveaux?
Je suis là pour aider" votre édification.
Plongeons dans ce vortex" dont vous êtes venues
Dans cet abîme obscur" de splendeurs et terreurs
Pour que vous n’oubliiez" le devoir de mémoire
Le hideux holocauste" où par malheur sombrèrent
Les fils de mon ethnie" proies du grand holocauste.
Que jamais plus demain" dans l’univers n’advienne
Semblable conjoncture" au sein d’une atmosphère.
Plus jamais cela. Jamais" plus jamais. Jamais»

L’aïeule interrompit" le cours de son propos.
Sa tremblotante main" désigna la paroi.
L’on vit alors paraître" une baie circulaire.
Dans le sombre cosmos" éclairé vaguement.
Le regard découvrait" un globe aux tons roussâtres
Qu’on eût dit ravagé" par une catastrophe.

«Terre' ô' monde exécrable" astre maudit' fatal
Qui pour son infortune" enfanta notre espèce.
Génitrix' ô mater" mater primitiva
Planète où je naquis" planète où je souffris
Paradisiaque lieu" qui fut horrible enfer.
Ton splendide relief" de monts et d’océans
Devint théâtre obscur" de conflits meurtriers.

Voici les hominiens" prolongeant les Simiens
Le sapiens émergeant" de l’Australopithèque.
L’artiste primitif" sorcier magdalénien
Dessine des aurochs" sur les parois des grottes.
Stonehenge' édifice" aux trilithes dressés
Des rayons zodiacaux" marque la direction.
Puis commença l’Histoire" au long des millénaires.
Voici les hypogées" reposoir des momies.
La Reine Ankhsenamon" se désole en silence
Près des félins sacrés" effigies de Bastet.
Sur le roc d’une stèle" Assourbanipal grave
Le féroce récit" de son exploit sanglant.
Sous le figuier sacré" Çakiamouni médite.
Xerxès vaincu gémit" sur le mont Aiguilée.
Diogène en son tonneau" conspue les Athéniens.
Socrate en raisonnant" dénonce les Sophistes.
La furieuse Elpinice" accable Périclès.
De son épée' rageur" le fils d’Olympia tranche
Le fatidique nœud" du sceptre universel.
Repoussant les tribus" des Hiong-nou querelleurs
Tsin Che houang-ti construit" la Muraille chinoise
Les prêtresses d’Aran" invoquent Mannanan
Dans sa Tour cristalline" au fond de l’Océan.
La ville des Latins" s’élève au firmament.
Le fidèle Varron" vient se rendre aux licteurs.
L’injonction de Caton" par Scipion s’accomplit.
Dans Carthage enflammée" court Élissa tremblant.
Puis voici l’homme osant" dompter le Rubicon.
César et Cicéron" César et Cléopâtre
César devant Pompée" César devant Brutus.
Par la croix meurt Jésus" qui renie Jehova.
Trajan vainqueur défile" au milieu des vivats
Tandis que Décébale" enchaîné' se lamente.
Voici la galerie" des soudards couronnés
Caligula' Néron' Tibère' Othon' Galba...
Mais voici la série" des empereurs modèles
Marc-Aurèle' Auguste' Hadrien' Titus' Claudius...
Rome est abandonnée" tandis que naît Byzance.
Voici Théodora" qui tance Justinien
Le Porphyrogénète" empereur méritoire.
L’esclave Frédégonde" exécrable tigresse
Guette sa proie Galswinthe" épouse effarouchée.
Mahomet humilié" vers Médine s’enfuit
Plein de ressentiment" à l’égard des Kuraysh.
La triomphale ogive" élimine la voûte
L’art gothique s’impose" et le roman décline.
Voici le pape Urbain" qui prêche la croisade
Ranimant la ferveur" des chevaliers chrétiens.
Kenneth' combattant lige" investit Lochleven.
Boabdil sanglotant" quitte son Alhambra.
Magellan' preux marin" soumet le Pacifique.
Souverain magnifique" et maître incontesté
Charles Quint se lamente" au fond de Cacérès.
Le Roi Soleil festoie" parmi les courtisans
Non loin des croquants nus" dévorant des racines.
Voici le temps venu" de la Révolution
Robespierre et Saint-Just" au pied de l’échafaud
Sur le pont de Lodi" Napoléon vainqueur
Napoléon vaincu" sur la Bérésina.
Les chevalements noirs" se dressent dans les cieux
La nouvelle fabrique" évince l’atelier.
Dans la boue de Verdun" s’enlisent les armées.
Dans le Palais d’Hiver" s’engouffrent les Soviets.
Captif en son bunker" Hitler défie Staline.
Mao' patient' abat" le bouillant Chiang Kai-shek.
Dans le cosmos gravite" un objet minuscule
Spoutnik' prophétisant" la spatiale aventure.
Douze milliers d’années" sont ici résumées
L’Humanité qui monte" et parfois redescend
L’Humanité sordide" orgueilleuse et pouilleuse
Le Carlton' les favellas' Copacabana
Les corons' Picadilly' Silicon Valley
Semipalatinsk' Brodway' Rockfeller Center’
Bombey' Cracovie' Thapsus' Birmingham' Ninive.
Le Bolchoï' Wall Street' le Panthéon' la Douma
L’Humanité changeante" ondoyante' incertaine
Le nonce apostolique" et l’athée mécréant.
La nonne et la geisha" le rishi' le dandy
Le savant' l’ignorant" le paria' le nabab
Thoutmosis' Kroutchkchev' Einstein' Ephialte' Hus' Bill Gates
Newsky' les Ming' Vercingétorix' Al Capone
Goethe' Al Muktadir' Picasso' Leonidas
Nabuchodonosor' Kennedy' Boudicca
Shotoku Taishi' Claudia Schiffer' Lacenaire...
Volontés' vanités' pulsions' passions' désirs
Fidélité' félonie" couardise et bravoure
Dans le sang' dans la mort" se dénouent' se résolvent.
L’Histoire' alea' sort" ou bien nécessité
Fatalité gratuite" ou bien Finalité?
Plus court ou moins charmant" le nez de Cléopâtre
Comme affirma Pascal" eût-il changé le Monde?
L’Histoire' infinie boucle" et cycle perpétuel
Retour sempiternel" recommencement vain.

Mais voici que survint" la dégénérescence.
L’Économie sans fin" toujours plus activiste
Finit par échauffer" le terrestre climat.
Cyclones et maelströms" saccageaient les cités.
L’Océan dilaté" par calorique effet
Sapait le continent" débordait sur les côtes.
L’assèchement ruinait" la nutritive glèbe
Stérilisée déjà" par l’excès des engrais.
Les étendues brûlées" remplaçaient toujours plus
Maïs et blés dorés" verdoyants maraîchers.
La décomposition" gagna les sociétés
Poursuivant sans répit" un mercantile but.
Les masses dépravés" toujours plus descendaient
Vers l’animalité" vers la primarité.
Les compétents cerveaux" devenaient rarissimes.
C’est alors qu’arriva" l’Âge nouveau de Pierre.
Nul parmi les humains" ne savait déchiffrer
Les signes scripturaux" que gravaient les aïeux.
L’existence devint" précaire et difficile.
Ni loisir ni confort" sans la technicité.
L’ancien téléviseur" devenait tabouret.
La vide lavatrice" était huche ou commode.
L’ordinateur éteint" privé de connexion
Gisait dans les gravats" tel inutile objet .
Le radiateur gelé" se rouillait dans un coin.
L’interrupteur bloqué" n’allumait plus de lampe.
D’une ancienne fontaine" on puise l’eau polluée
Tandis que reste sec" l’évier sans robinet.
La véloce berline" éventrée' morcelée
Devint au bord des voies" une épave immobile.
Sangliers et chevreuils" empruntaient l’autoroute
Que ne fréquentaient plus" engins motorisés.
Les trains n’arrivaient plus" à leur destination.
L’avion supersonique" au sol était cloué.
Le chaos s’installa" dans les mégalopoles
Gangs' mafias dominaient" les nations corrompues.
De puissants dictateurs" se taillaient des empires.
Le pouvoir s’inclinait" quand protestait la rue.
Des clans semaient partout" l’anarchie' la terreur.
La milice affaiblie" ne pouvait repousser
L’attaque des brigands" imposant leur diktat.
La ville devint jungle" impitoyable et dure
Qu’infestaient rapineurs" maraudeurs' malfaiteurs.
L’appartement devint" un blockhaus investi.
Les villes s’entouraient" de murailles étanches
Pour éviter le sort" des banlieues dévastées.
Les zélés partisans" du cosmopolitisme
Toujours plus devenaient" arrogants' suffisants.
Leur véritable face" apparut en plein jour
Haine envers la Beauté" la Grandeur' le Génie’.
La religieuse foi" balaya la raison.
La pensée rejoignit" l’ère anté-scientifique.
C’est alors que survint" l’iconoclaste époque.
Les fils abâtardis" rejetaient leurs parents.
Les ruines vénérées" témoins d’aïeux honnis
Sont bientôt saccagées" dégradées' ravagées.
Toute œuvre élaborée" parut insupportable
Toute figuration" qui glorifiait le charme
D’un visage au teint pur" aux blondes cadenettes
Fut détruite avec rage" avec acharnement.
Certains pays' pourtant" refusant l’agonie
Parviennent à garder" leur spécificité.
Leur technique permit" d’envoyer en orbite
L’habitation future" espoir de la survie
Pour qu’ils puissent un jour" quitter cette planète.
C’est ainsi que naquit" l’astronef Eurasia
Ceux qui n’approuvent pas" la décadence ignoble
Sont vilipendés' sont méprisés' rejetés
Leurs enfants poursuivis" et leurs biens confisqués.
Néanmoins quelques-uns" résistaient' s’entraidaient.
Mes parents se trouvaient" parmi l’un de ces groupes.
De multiples régions" fomentaient secession.
Lors clandestinement" à l’abri des regards
Nous tentions de rejoindre" un pays favorable
Qui pût élaborer" malgré tous les écueils
La porteuse fusée" pour joindre l’astronef.
Je demeurai cachée" dans une galerie.
Parfois l’on m’apportait" vêture et nourriture.
Sans même un oreiller" je couchai sur le roc.
Je devais recueillir" l’eau des infiltrations.
J’ai mangé les cafards" se traînant sur le sol.
Constatant leur échec" les nations décadentes
Pour briser l’ennemi" déversaient leurs ogives.
L’apocalypse alors" éclata sur la Terre.
Des champignons mortels" se dressaient dans les nues.
Le milieu naturel" chaque jour empirait.
L’opération Noé" bientôt fut déclenchée.

Dans une fusée' tous" ne pouvaient embarquer.
Je fus sélectionnée" par ma communauté
Pour joindre au fond des cieux" l’amicale astronef
Malgré la mort tenter" la cosmique aventure
Mais il fallait gagner" le cosmodrome au loin.
Je me souviens' la course" au milieu des périls.
Nous devions éviter" les miliciens brutaux
Sans faillir traverser" des lieux contaminés
Protégés par un masque" et par habits étanches.
Des cadavres partout" jonchaient le sol brûlé
Parmi les éboulis" déchets et immondices.
L’atmosphère était lourde" acide' irrespirable.
Sur les ruines traînaient" des nuées suffocantes.
Nous pûmes repérer" le souterrain passage
Conduisant au repaire" où la nef attendait.
Nous suivîmes d’abord" un exigu boyau
Pour déboucher enfin" dans une salle immense.
Dans un affairement" fébrile' indescriptible
Se détachait' brillant" le salvateur vaisseau.
Bientôt je me trouvai" dans le groupe d’élues.
Nul homme à nos côtés" parmi les rescapées.
Tous avaient préféré" changer leur apparence
Dématérialiser" leur seule intelligence
Pour s’affranchir de corps" disgracieux' primitifs
Qu’ils avaient remplacé" par des robots inermes.
Définitivement" ils avaient réuni
L’ordinateur quantique" au réseau neuronique.
Le cerveau fut alors" sur la nef embarqué.
Sans lui rien n’aurait pu" gérer la traversée.
Tous ceux qui travaillaient" avec acharnement
Sacrifiaient sans regret" leur vie pour nous sauver.

Cet humble médaillon" pendant sur ma poitrine
Me fut donné là-bas" par une jouvencelle
Pour qu’ici je conserve" un peu de sa mémoire.
L’échéance approchait. Qu’allait-il advenir?
Serait-ce pour nous tous" le Grand Commencement
L’avènement grandiose" à moins que ce ne fût
L’inéluctable échec" et notre achèvement?
C’est alors que survint" le moment fatidique
Le pathétique instant" gravé dans mon esprit.
Nous fûmes rassemblées" devant le cosmodrome.
Tous ceux qui resteraient" nous contemplaient émus
Car nous étions pour eux" le fruit de leur action
Leur volonté suprême" et leur ultime espoir.
Nous devions prolonger" leur fugace existence
Perpétuer au futur" leurs gènes vulnérables
Tandis qu’ils périraient" par autodestruction.
De même nous étions" profondément troublées
Point ne voulions quitter" nos parents' nos amis
Néanmoins il fallut" monter dans le vaisseau»

L’ancêtre à ce moment" suspendit son discours
Sa chevrotante voix" fatiguée par les ans
Trahissait les effets" d’une douleur intense.
Des larmes s’écoulaient" de son nostalgique œil.
Puis elle poursuivit" le récit de sa vie.

«Lors de nouveaux périls" nous attendaient encor.
Nous devions recevoir" le signal convenu.
Les tirs simultanés" seuls favoriseraient
Le succès des fusées" dont beaucoup flamberaient
Sous les feux ennemis" qui nous harcèleraient.
Nous fixions de nos yeux" le voyant d’allumage.
Rien ne se produisit" durant un long moment.
Le silence pesant" planait sur l’assemblée
Que troublait seulement" le ronronnement sourd
Des réacteurs veillant" parés au démarrage.
Que signifiait ceci? L’opération Noé
Sombrait-elle au néant" éventée' dénoncée?
Mais soudain' joie radieuse" inconcevable' intense
Le voyant fatidique" enfin s’illumina.
Les mobiles panneaux" au-dessus de nos têtes
Découvrant le cosmos" lentement s’écartèrent.
Le moteur s’alluma" nous fûmes propulsées.
Des éclairs dangereux" bientôt nous entourèrent.
Nous fûmes submergées" dans un déferlement
D’explosions' de crépitations' détonations
Que rythmaient sans répit" grondements' sifflements.
La guerre autour de nous" partout s’intensifiait.
L’ennemi déversait" d’archaïques missiles
Que nous interceptions" par des faisceaux lasers.
L’astre apparut nimbé" d’une couronne ardente.
Nous étions atterrées" abasourdies' muettes
Sous le déluge igné" s’abattant sans répit.
Nous perdîmes alors" contact avec la base
Qui dût finir sans doute" anéantie' rasée.
Le cerveau du bord' seul" pouvait nous diriger
Près de nous par hasard" volait une autre nef.
Par les pâles hublots" nous pouvions discerner
Le visage émouvant" de sœurs nous ressemblant.
C’est alors qu’un missile" atteignit leur vaisseau.
Le contrecoup violent" ébranla nos réseaux.
Le cerveau s’éteignit" le moteur s’arrêta.
Nous étions égarées" dans l’immense univers.
Notre nef dériva" durant de longues heures.
Déjà l’on envisageait" de presser en nos mains
Le funeste bâton" qui délivre des maux.
La chance nous sourit. Dans le jour qui suivit
Sur les écrans parut" le signe d’Eurasia.
«Vous êtes retrouvés" suivez bien nos consignes»
Jusque vers la station" nous fûmes remorquées
Par un champ magnétique" attirant le vaisseau.
Nous étions comme Ulysse" au milieu des écueils
Lorsqu’il vit s’élever" le phéacien rivage.

Encor je m’en souviens. Au loin brillait un point
Qui lentement s’enflait" grandissait' grossissait
Puis il fut vaguement" une sphère' un anneau.
C’est alors qu’apparut" sa vaste architecture
Fascinante' immense' énorme' incommensurable.
Ses milliers de hublots" de panneaux flamboyants
De modules soudés" compartiments liés
Dans le cosmos jetaient" d’irradiantes clartés.
Par les filtres des baies" s’ouvrant sur les parois
L’on voyait s’étager" ses terrasses multiples
Qui supportaient prairies" forêts' champs et guérets.
Ses bras démesurés" tels rayons trismégistes
Rejoignaient son moyeu" cella' saint des saints' crypte
Protégeant en son for" le quantique cerveau.
C’est le cœur' le pivot" le centre névralgique
Distribuant partout" fluides gazeux' liquides
Régissant' gouvernant" sas' portes et volets
Déclenchant' orientant" lasers' champs magnétiques
Moteurs antimatière" et voiles photoniques.
Telle une roue géante" affranchie de son arbre
La rotation l’entraîne" en son mouvement fixe
Créant gravitation" dans sa jante mobile.

Nous étions sauvées. Joie. Vous ne pouvez savoir
Ce qu’alors' délivrées" toutes nous ressentîmes.
Près de nous' Eurasia" comment ainsi le croire?
Comment imaginer" ce magique moment.
Céleste île' Eurasia" pour nous Ithaque chère
La cosmique bouée" dans l’astral océan.
Nombreux sont les humains" qui n’ont pu te rejoindre.
Nombreux ont combattu" sans pouvoir t’accoster.
Nombreux ont dévoué" leur misérable vie
Pour qu’en un jour lointain" nous puissions t’aborder.
C’était pour eux' pour eux" nos mânes bien-aimés
Que nous devions subir" nos terribles tourments
C’était pour conserver" leur souvenir vivace.
Jadis nous l’observions" depuis notre planète.
Nous la voyions la nuit" briller au firmament.
Dans la souffrance atroce" et dans l’adversité
C’est elle qui donnait" à nos membres la force
Galvanisait nos cœurs" soudait nos volontés.
C’était pour nous le port" un formidable espoir
Chanaan' le Wallhalla' Tempé' l’Eunoé
La vallée de Nysa' l’Eden' Eldorado
L’Arcadie' le pays de Pount' le mont Olympe.
Nous la rêvions' l’imaginions' la désirions.
Ses lumineux signaux" interpellaient notre âme
«C’est pour vous' c’est pour vous" que je veille si loin.
C’est pour vous accueillir" qu’à mon bord je maintiens
Mes cellules chauffées" ventilées' éclairées.
Las' que ne puissiez-vous" me rejoindre aussitôt»

À l’intérieur du sas" notre nef s’arrima.
Nous fûmes accueillies" par des vivats intenses.
Le cerveau du vaisseau" bientôt fut ranimé
Puis alors fut greffé" dans celui d’Eurasia.
Nous découvrîmes là" des femmes plus augustes
Plus avancées que nous" dans l’idéale voie.
La concorde régnait" parmi les rescapées.
Le spatial synœcisme" eut lieu dans l’euphorie
Comme autrefois celui" de l’attique cité.
Quand règne ainsi l’Amour" dans la communauté
Lors' tout paraît facile" et tout peut s’accomplir.
Sereinement l’on peut" affronter les épreuves
Mais lorsqu’Éris cupide" assujettit les cœurs
La moindre peccadille" est un fatal obstacle
Chaque embarras' souci" devient insurmontable.
Souvenez-vous des Grecs" devant la haute Ilion
Quand Achille humilié" chez lui se retira.
L’affront d’Agamemnon" tourmentait son esprit.
Sous la pique d’Hector" les Danaens tombèrent.
Le Myrmidon couvait" son ire inassouvie
Détestable colère" infligeant la défaite.
C’est ainsi qu’il en est" chez les vénaux Terriens
Ne concourant au Bien" de la communauté
Mais toujours étanchant" un personnel désir.

*

Qu’advint-il par la suite" aux humains de la Terre?
Le conflit nucléaire" avait rayé leurs villes
Contaminé partout" les mers' les continents.

L’ancêtre par la baie" contempla sa planète.

«Jadis elle était bleue" maintenant elle est brune.
Des plantes prospéraient" sur toutes ses contrées.
Ses forêts contenaient" des animaux sans nombre
Qui rampaient' qui volaient" qui marchaient' arpentaient.
Maintenant le désert" étend sa chape grise.
Doit-on la regretter? Fallait-il sans tarder
Précipiter sa perte" ou la sauvegarder?
Fallait-il supprimer" les derniers Hominiens?
Fallait-il envoyer" ces drones destructeurs
Que nous avions conçus" pour cette opération?
Nous voulions abréger" l’inutile souffrance.
Devions-nous en fuyant" diriger nos rayons
Vers l’indigne planète" ainsi décomposée?
Leur folie meurtrière" évita le dilemme
Car les derniers humains" sans faiblir s’affrontèrent
Jusqu’à s’éliminer" dans le grand holocauste.
Las' tous ces combats' tous ces conflits' ces batailles
Les armées défilant" dans les villes conquises
Les victorieux buccins" résonnant dans l’éther
Les royaumes forgés" par le fer et le sang
Les palais édifiés" par l’effort' la tension...
Pour l’évanouissement" dans le temporel gouffre.
Las' tout ce déploiement" de l’Art et de la Science
Les parchemins remplis" de signes illusoires
Tous ces recueils' ces compendiums' ces dithyrambes
Ces belles mélodies" sublimes symphonies
Ces représentations" fresques et bas-reliefs
Ces contrats et rapports" ces missives et chartes
Ces défis' duels' traités' procès' complots' travaux
Ces pensées' projets' propos' discours' plans' desseins...
Pour la disparition" dans l’urne du Néant.

Nous avons surmonté" les funestes épreuves.
L’Amour et la Beauté" sont le double idéal
Qui nous permet de vivre" et d’accepter la Mort.
Nous sommes double essence" être charnels' virtuels
Pacifiques îlots" d’hyperstructuration
Tandis que nous gouverne" un cerveau concentré
Seigneur de l’astronef" omnisciente présence.
Dans ce monde parfait" sommes-nous version pure
De la belle odalisque" en son gynécée clos?
C’est là notre victoire" et notre servitude.
C’est nous qui dirigeons" mais ne pouvons enfreindre
La sage volonté" guidant notre conduite.
Comment agir sinon" respecter les consignes
Qu’élabore en son for" l’ordinateur quantique?
Nous sommes création" lors qu’il est créateur.
Comme aux darwiniens temps" c’est lui qui sélectionne
Parmi les ADN" les formes du futur.
L’ancien taiji demeure" enfermant en son schème
Le yin avec le yang" réunis pour toujours.
Sa pure intelligence" est aussi bien la nôtre
Car nos cerveaux toujours" sont à lui connectés
Formant association" multiple autant qu’unique
Cependant rehaussée" par le génie du corps
La conscience du soi" détachée du grand Tout.
Par notre évolution" de nous qu’adviendra-t-il?
Je suis maintenant" Skuld évoquant l’avenir.
Le principe d’Hegel" ne saurait nous soumettre
Car nulle opposition" plus ne perdure en nous.
L’omniprésent combat" pour la survie précaire
Ne saurait justifier" la vie des créatures.
L’Amour seul pourrait-il" nous rendre supportable
Cette existence errante" au sein des galaxies.
La matérialité" nous pèse et nous tourmente.
Serons-nous remplacées" par l’être immatériel
Par le faisceau laser" ou le rayonnement
Combinaison de champs" magnétique' électrique?
Serons-nous substituées" par des icônes fixes
De mobiles fictions" formules algébriques?
Faut-il nous effacer" devant les œuvres d’art
Celles dormant là-bas" dans la pinacothèque
Sous l’aspect épurée" du code informatique?
Faut-il nous supprimer" imparfaites natures
Devant le végétal" au sein du minéral?
Mais qui remarquera" ces merveilles figées
Ces beautés encodées" par de virtuels programmes?
Quel être alors pourrait" aux confins du cosmos
Quelque jour s’extasier" découvrant la Joconde
Les "Quatre Saisons"' le "Printemps"' la "Pathétique"?

Déployant les panneaux" de la voile solaire
Demain le grand cerveau" déclenchera l’Exode.
La Terre ainsi toujours" s’éloignera de nous
Roc fuyant' tournoyant" dans l’insondable espace»

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007

* mordorés L'image du végétal formant un ameublement est tiré d'un album BD de Fred
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