MAGELLAN

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant le périple de Magellan: Lisbonne, le retour de Christophe Colomb, les palais de Cintra, le roi Manoel du Portugal et les Indes portugaises, Madère, Cap Vert, tempête sur l’Atlantique, mutinerie, le Cap des Tempêtes, l’Océan Pacifique, l’Océanie...


L’ENFANT

Du faste Baixa" jusqu’au fort de Belem
De l’opulent Rossio" jusqu’au pauvre Alfama
Des entrepôts fluviaux" jusqu’aux débarcadères
Sans jamais se lasser" jusqu’à la nuit tombée
Par les rues de Lisbonne" erre un enfant rêveur.

Jeune page à la cour" point ne le divertissent
Les chasses déployées" par le roi Joao
Dans les bosquets épars" de la torride Algarve
Ni l’attrayante joute" où les preux se mesurent
Ni mondaine soirée" ni spectacle brillant.
Léonor de Lancaste" éblouissante reine
Dont le charme ravit" prétendants et galants
Ne saurait émouvoir" son esprit tourmenté
Par une autre ambition" grandiose' inassouvie.
Les fastes palatiaux" non plus ne le captivent
Téméraire il préfère" aux luxueux carrosses
Franchissant bruyamment" les porches des manoirs
Le silencieux ballet" des vaisseaux patinés
Glissant' appareillant" vers la porte océane.
Bien plus il apprécie" loyale et pittoresque
La rude compagnie" des frustes matelots
Que la fade assemblée" des courtisans futiles.

Souvent il vient hanter" le sacré belvédère
Santa Lucia' terrasse" où la vue peut s’étendre.
Son avide regard" contemple au fil des heures
Le mouvant horizon" de l’onde mystérieuse.
Quel est son dessein' que veut-il' que cherche-t-il?
Ce n’est l’or ni l’argent" des cessions' transactions
Ni l’appât du pouvoir" la possession foncière
Ni les mondanités" des frivoles soirées
Ni volupté lascive" ou tendre sentiment
C’est l’insatiable soif" l’inextinguible soif
D’explorer l’univers" l’embrasser' l’éprouver
Réaliser exploits" que nul jamais tenta
Voir un jour de son œil" la terrèque limite.
Son esprit fasciné" vainement s’interroge.
Que peut masquer l’écran" du mont blanc' du flot vert?
Qu’y a-t-il au Ponant" par-delà cet abîme?
Qu’y a-t-il au-delà" de la mer' de la terre?
Les filles au teint clair" habillées de percale
Ne le détournent pas" de son aqueuse amante
Parée de robe glauque" à la frange d’écume
Dangereuse maîtresse" engloutissant' féroce
Les tendres sigisbées" qu’elle charme et soumet
Comme Dahut jadis" fille ainée de Gradlon.
«Globe sans limite' ô" je te vaincrai demain»
L’entendent murmurer" les badauds étonnés.
Désirant que ses bras" se transforment en ailes
Pour les accompagner" aux confins de l’espace
Triste' il envie' là-haut" les agiles mouettes.
Sans répit il franchit" les pontons sur le Tage
Luisante mer de paille" aux reflets mordorés.
Des matinées durant" il admire' ébahi
Les voiliers au radoub" ce nautique hôpital
Soignant les rescapés" des batailles navales.
Sans relâche il parcourt" les ruelles pentues
Recevant sans broncher" la capricieuse pluie
Du linge qui dégoutte" aux appuis des balcons
Sans gêne supportant" la gouaille populaire
Des grasses varinas" dévergondées' vulgaires
Qui vantent leurs paniers" de morues et colins.
Sans lassitude il suit" les tortueux passages
Remonte et redescend" les volées d’escaliers
Qui rampent à l’assaut" de la butte Saint Georges.

De gargote en gargote" il écoute' il apprend.
«Sachez qu’à l’équateur" la mer bout en sifflant.
Si le marin par chance" évite les brûlures
Voilà qu’il est piégé" par les rocs magnétiques
Séparant les goujons" de la coque brisée
Puis il est aspiré" par les violents remous
Happant mieux le vaisseau" qu’un infime fétu...»
«Sachez que l’espadon" transperce les carènes
Que la pieuvre géante" embusquée dans son antre
Par ses pustuleux bras" étouffe les gabiers.
Tapi dans les écueils" le monstre Adamastor
Pulvérise la nef" sur le Cap des Orages»
«Ne risquez votre vie" dans ces funestes lieux.
Demeurez sur le sol" où Dieu vous a fait naître
Mais si votre existence" est pour vous trop pesante
Si' lassés de souffrir" vous désirez périr
Las' partez' embarquez" sur les frêles caraques.
Vous rejoindrez la Mort" que tant vous désirez»

Plus que jamais l’enfant" rêve d’appareiller.

*

C’est alors qu’un matin" fixant l’horizon glauque
La foule stupéfiée" sur les quais s’agglutine.
Dans la rade s’avance" un navire espagnol.
Distinctement' déjà" sur la coque halée
Brille une appellation" petite pourtant grande
Niña' la rescapée" des marines fureurs.
L’enfant hypnotisé" près du bord se rapproche.
Bientôt l’on voit descendre" un superbe héros
Qu’environne un cortège" éclatant' chatoyant
De rougeâtres Indiens" chamarrés de rémiges.
Des aras' perroquets" voletant les entourent
Des cacatoès blancs" à la huppe orangée
Tandis qu’ils agitaient" sagaies et masques d’or.
Le découvreur glorieux" semblait auréolé
D’exotique splendeur" et de clartés mystiques.
N’est-il pas magnifié" pour les siècles futurs?
Quand César le questeur" visitant l’Hispanie
Découvrit à Gadès" l’effigie d’Alexandre
Moins il fut désolé" qu’aujourd’hui cet enfant.
Sa bouche murmura" ces paroles d’orgueil
«Ce que tu fis' Génois" je le surpasserai»

L’HOMME

Lors passent les années" l’enfant d’hier est homme.
Le voici maintenant" dans les rues de Séville.
Sa face est envahie" par une immense barbe
Sa peau s’est basanée" son regard s’est trempé.
Son pas s’est alourdi" son buste s’est courbé.
C’est qu’il a déjà vu" des hivers' des étés
Sur les mouvants chemins" de l’océan furieux
C’est qu’il a bourlingué" d’escales en escales
De combats en combats" sur les mers orientales.
«Je trouverai la voie" qui mène jusqu’aux Indes»
Songe-t-il sans répit" du matin jusqu’au soir.
La morsure en son cœur" s’approfondit encor.
Le désir l’a tendu" l’a rongé' ravagé.
Le même feu brûlant" consume son esprit
Sans repos tenaillé" par un mal invincible.
Pour lui dont l’ambition" dépasse la mesure
Gama' Colomb' Cabral" sont explorateurs vains
Découvreurs timorés" navigateurs frileux
Des nains près du géant" qu’il deviendra bientôt.
S’il ne fréquente plus" tavernes et gargotes
C’est qu’il a pénétré" les sociétés savantes.
Ses livres favoris" sont portulans codés
Cartes pour la survie" dans les périls marins.
Tellement son regard" les parcourut la nuit
Dans l’intime secret" d’une alcôve isolée
Qu’il pourrait maintenant" les dresser de mémoire.

Les interrogations" tourmentent son esprit
Cherchant à dénouer" réalité' légende
Valides arguments" spéculation futile
Fruit du raisonnement" ou fantaisie du rêve.
Savoir' savoir' connaître" élucider' comprendre
Ce qu’à ce jour encor" ne put voir nul humain
Vérifier par son œil" l’abstraite rhétorique
Par les faits confirmer" la pensée conceptuelle
Devancer' dépasser" l’intellect par l’audace
Confondre les docteurs" enferrés dans l’erreur.
Savent-ils seulement" si la Terre est sphérique?
Sur un sol recourbé" pourrait-on se mouvoir?
Comment' les pieds en l’air" pourrait-on séjourner
Sur le sol inversé" de l’antipode austral?
Pourrait-on réunir" inverses directions
Montrer qu’est même sens" le nadir' le zénith?
Peut-on rejoindre au Sud" par la voie maritime
Le mythique pays" où le prêtre Jean règne?
Ne pourrait-on relier" en voguant d’Est en Ouest
L’Orient et l’Occident" l’Europe et les Moluques?
Folie' témérité" lui répliquaient en chœur
Les savants horrifiés" par son projet grandiose.
N’auraient-ils oublié" l’humaine volonté
Ce que peut l’expérience" à défaut de la science?
N’a-t-il pas étudié" le régime des vents?
Par le jeu du gréement" actionnant la voilure
Comment neutraliser" les alizés contraires?
Dans l’immensité bleue" ne peut-il s’orienter
Par son observation" par l’intuitif instinct?
Ne vaut-il parfois mieux" savoir interpréter
Les nuances des flots" que boussole imprécise
Le vol des goélands" qu’incertain astrolabe?
Le vacillant éclat" de l’astre matinal
Ne peut-il mieux guider" que géométrie vaine?

Que n’entreprendrait-il" s’il avait des vaisseaux?
Convaincre les puissants" voilà son but unique.
Le roi du Portugal - Pourparlers" entrevue
L’espoir' enfin' l’espoir" l’interminable attente.
Puis nouvelle entrevue. Refus. La déception.
Pourrait-il concevoir" de subir un échec?
C’est mal connaître l’homme" au désir dévorant
Sublime en son excès" magnifique et dément.
Non' rien ne fléchira" sa volonté farouche
Dût-il pour ce dessein" donner son âme au diable
Dût-il changer de nom" de nationalité
Fût-il considéré" comme un vil renégat.
Magalhaes" Magellanes. Tout nom convient.
Manoel est son roi" l’empereur le séduit.
Lisbonne était son port" c’est maintenant Séville.
Peut lui chaut la couleur" du nouveau pavillon
Que sa main plantera" sur un sol étranger.
N’est-il pas une belle" en son cœur amoureux?
Le charme supérieur" de cette beauté rare
C’est qu’elle est fille aînée" d’un influent alcalde.
Le mariage scellé" permet de l’immiscer
Parmi les favoris" du puissant Charles Quint.
S’il peut appareiller" puis traverser les mers
Qu’importe son pays" qu’importe son épouse.
Voici que l’accompagne" un esclave malais
Mais l’a-t-il adopté" par simple charité?
Non' c’est un auxiliaire" indispensable et sûr
L’interprète précieux" d’autochtones langages
Lorsqu’il débarquera" sur un sol inconnu.
«J’en atteste' Henrique" tu reverras un jour
Ton lointain continent" en contournant la Terre»
Pour goûter le repos" Ulysse dut jadis
Parcourir le désert" une rame à l’épaule
Mais le Grec un matin" rencontre un indigène
Qui n’avait jamais vu" de rivage marin.
«Pourquoi donc» lui dit l’homme «en cet inculte lieu
Sur l’épaule porter" ce fléau pour le grain?»
Le héros sacrifia" cinq taureaux à Neptune
C’est ainsi que prit fin" la rancune divine.
Pareil au Danaen" le bourlingueur des mers
Devra toujours voguer" de contrées en contrées
Jusqu’à ce qu’Henrique" reconnaisse l’idiome
D’un étranger croisé" dans une île inconnue.

Le temps passe en essais" propositions' manœuvres
Sollicitations' recommandations' requêtes.
Les appuis' Cristobal de Haro' les Fugger
Le prélat de Burgos" et l’argent des banquiers.
Réseau d’influence' amis' comtes et ducs' rois
Maîtresse et Dulcinée" soubrette et favorite.
La virile aventure" en des mains féminines.
Dans une alcôve on joue" l’avenir d’un royaume.
Les parfums' les atours" font plus que glaive aigu.
Pour le navigateur" familier des périls
Hauts-fonds' brisants" courants' des caps aventureux
Lui paraissent alors" moins dangereux' terribles
Que barrage sournois" des factions' coteries.

*

Puis un jour' l’empereur" une entrevue promise.
L’audience bientôt. Charles Quint" dubitatif
«Je ne puis m’engager" patientez' nous verrons»
Nouvelle tentative" et nouvel entretien.
L’empereur cette fois" conciliant' bienveillant
«Je vais considérer" cette proposition»
Puis l’attente encor' incertaine' interminable...

MANOEL

Cap du Rocher' borne extrême' ultime avancée
Du vaisseau Portugal" au continent ancré
Terrasse européenne" où le Monde s’engouffre.
Là s’élève Sintra" la ville des palais.
Dans cet enchanteur lieu" ne sommes-nous déjà
Vers l’Afrique prochaine" ou vers l’Inde lointaine.
Jamais neige ou grésil" ne recouvrent la terre
Qu’humidifie toujours" une moiteur féconde.
La tropicale chaleur" est ici déversée
Par les tièdes courants" que brasse l’Océan
Planétaire hypocauste" imprégnant le rivage
De son tempéré fluide" aux vertus bénéfiques.
La douceur climatique" incite à l’abandon.
La brume est ablution" bienfaisante aspersion
Le vaporeux embrun" douche revigorante
Lustrale émanation" topique liminent
Sauna décontractant" reposant' relaxant.
Le spumeux flot salé" procure un bain moussant.
Le vent masse la peau" de ses mains invisibles.
Dragonniers' palmiers' bougainvilliers' fromagers
Remplacent noisetiers" chênes et châtaigniers.
Provenant de Judée" basilic' arbousier
Diffusent à l’entour" un exotique effluve.
La richesse du globe" en ce lieu pauvre afflue
Parcelle occidentale" ouverte sur le Monde.
La besogneuse Algarve" essaime tous ses fils
Graine humaine semée" pour moissonner la Terre.

Sintra' ville hybride' union' fusion' confusion
Dense creuset mariant" les styles et manières
Métissage artistique" insolite' insensé.
L’extravagance folle" issue de l’outre-mer
Déforme linteaux' piliers' torsade colonnes.
Sous l’onirique effet" du caprice oriental
Se dissout la rigueur" des canons vitruviens.
L’excessive harmonie" des intenses pigments
Rehausse par ses tons" fadeur occidentale.
Mosaïque olivâtre" azulejos bleutés
Revêtent les parois" s’étalent sur les sols
Mimant le mouvement" des vagues fluctuantes.
La gamme des rosés" vert amande' ocracés
Douceâtres coloris" et tons pastellisés
Déclinent tendrement" leurs touches aériennes
Dans la vive série" des pourpres et violets.
Dôme safran' tour piment' créneaux blanc crémeux
Sans gêne et sans complexe" aux regards se découvrent.
La ville paraissait" une indécente fille
Sensuelle courtisane" hétaïre impudique
Fardée pour enivrer" son luxurieux amant.

Pena' palais-navire" où l’océan se mire
L’océan qui partout" marque son influence.
Les colonnes sont mâts" les chapiteaux sont hunes
Les murs et les piliers" sont bordage et membrures
Les solives sont baux" les balcons sont tillacs.
Les contreforts puissants" paraissent des haubans.
La façade est gaillard" et les fondations quille.
Le cellier semble soute" et les caves sont cales.
Rideaux et baldaquins" sont voiles et gréements.
La torchère est fanal" brillant dans les embruns.
Partout' partout' l’on voit" le nautique univers.
Les godrons sont des nœuds" et les festons cordages
La rosace épanouie" paraît un gouvernail.
Les pots-à-feu se muent" en globes armiliaires.
Coquilles évidées" recouvrent les parois.
Les croix se déformant" sont ancres enfichées.
L’astragale devient" une étoile épineuse.
Volutes et rinceaux" comme varechs s’enroulent.
Sur les frontons ondoient sirènes et dauphins.
Des lambrequins vernis" simulant des galions
Paraissent naviguer" sur les ondulations
Qu’imprime la tomette" à l’image d’un flot.

C’est là dans ce palais" que le souverain songe
Capitaine-amiral" du vaisseau pétrifié.
Manoel' timonier" guidant le Portugal
Sur les mers inconnues" vers de nouvelles terres.
Dans ce boudoir secret" il aime s’imprégner
De la torride ambiance" évoquant les voyages.
Les Statues en ivoire" et totems en ébène
Reluisent au rayon" d’un chandelier intime.
Quand tombe ainsi la nuit" dans le vide château
La reine est occupée" loin dans son cabinet
De sa main rédigeant" son intime courrier.
Nul ainsi ne saurait" découvrir sa manie.
C’est le moment propice" attendu la journée
Pour lui de s’adonner" à la délectation
Qu’il assouvit' discret" loin des regards jaloux.
C’est alors qu’il se lève" et rejoint une porte
Masquée par le velours" d’une tenture épaisse.
Le cœur du roi bondit" lors que l’un des battants
Révèle en s’entrouvrant" l’objet de ses désirs.
Pas moins intense n’est" en cet moment son trouble
Que celui' délirant" du pauvre Ali Baba
Découvrant le trésor" des quarante voleurs.
Des flacons par milliers" sur les rayons s’alignent
Dont scintillent les noms" en lettres argentines
Vétiver' encens' nard' labdanum' cardamome
Vanille' ambrosiaque' œillet' jasmin' bergamote...
Chaque fiole effilée" dans sa partie centrale
Préhensile évidage" afin de la saisir
Paraît un corps de femme" à la taille profonde.
Manoel' s’avisant" de sa tremblante main
Choisit l’un des parfums" qu’il hume longuement.
Le capiteux effluve" en ses bronches s’immisce
Dilate sa narine" exalte son esprit.
Le tourbillon des sens" lui ferme les paupières.

Son imagination" voit la tour de Belem
Vigie du continent" maritime portail
Que frôlent chaque jour" les nefs lusitaniennes.
Les voici naviguant" pour de lointains rivages
Pendant que les marins" sous l’effigie de bronze
Prient avec dévotion" Dame-du-Bon-Succès
Puis sa pensée mobile" abolissant l’espace
Dans le périlleux cap" escorte les vaisseaux.
Voici qu’il accompagne" au trajet du retour
Les caraques portant" leur chargement d’épices.
Maintenant il s’envole" embrasse l’étendue.
Son œil halluciné" voit l’empire édifié
Les comptoirs' les relais" où flotte sous le vent
Le drapeau noir et blanc" du Portugal vainqueur
La côte s’étirant" au long du Malabar
Tanah' Malwan' Ceylan' Calicut' Bantani.
Goa' perle d’orient" Kadiri' Malacca...
Dans son esprit charmé" jaillit un flot d’images
Les cornacs promenant" les grands éléphants gris
L’Indienne enveloppée" de son rouge sari
Les fourmillant bazars" les stupas solitaires
Les aras s’envolant" au sein des aréquiers
Les paons se pavanant" les arhingas' les grues
Le nabab opulent" coiffé de son turban
Les pèlerins lustrés" par l’onde gangétique...
Les Indes fortunées" sa passion lancinante
Son obsession' fixation" dévorante et brûlante.

Lors' un vague sourire" en son visage flotte
Car tout paraît combler" ce monarque ambitieux.
Lisbonne' ô' ma cité" n’as-tu pas sept collines?
Tes chemins' Portugal" sont de marins sillages.
N’ai-je dans un étui" les missives en or
Des rois me témoignant" amitié' soumission?
Le patient Cabral' Gama' le vif Albuquerque
Diligents' ne sont-ils" mes atlantes zélés
Soutenant de leurs mains" l’universel empire?
Ne suis-je comme Atlas" qui supporte la voûte
Le monarque régnant" sur les trois continents?
Point n’avons de richesse" en notre sol aride.
Ce maigre territoire" entouré par l’Espagne
Sur la mer acculé" d’elle tient sa grandeur.
N’ai-je comme Alexandre" un poète chantant
Mon insigne valeur" mes nautiques prouesses
Camoens' âme altière" et génie magnifique
Vivante mappemonde" érudit prodigieux?

Mais tout près il entend" le bruit d’un pas rapide.
Soudainement' d’un geste" il repousse la porte.
«Sire' un billet urgent" nous parvient à l’instant.
C’est votre indicateur" à la cour de Castille»
Le roi lit - Brusquement" son regard s’alourdit.
Son front qui rayonnait" sinistrement se plisse
Pourtant quel déplaisir" contrarierait cet homme?
Ne possède-t-il pas" du globe la moitié?
Ses coffres débordant" sont emplis de joyaux.
Ses portefaix sont las" de coltiner toujours
Les sacs d’or et d’argent" au fond des entrepôts.
Manoel est inquiet. Manoel est amer.
Sans regret l’an dernier" il avait repoussé
Le démentiel projet" de cet aventurier
Désirant joindre l’Inde" en naviguant vers l’Ouest.
Maintenant il apprend" que Charles Quint' d’accord
Lui fournit des galions" pour son expédition.
Déraisonnable et vain" lui semblait ce dessein
Mais il craint aujourd’hui" sa réalisation.
Le remords le tenaille" et le doute l’atteint.
Ce hardi Magellan" ne risque-t-il un jour
De ternir les succès" des marins portugais?
Pourrait-il surpasser" demain par son exploit
Dom Vasco de Gama" parmi tous l’ami cher?
Quoi' l’effort obstiné" de si longues années
Serait-il brusquement" anéanti' brisé
Par ce vil renégat" sans méthode et sans foi
La rude progression" pour contourner l’Afrique
Les missions' les combats' pour soumettre les ports?
Ce loup de mer tient-il" en ses mains l’avenir
Des marchands' négociants" des villes et royaumes?
Le découragement" assombrit Manoel.
C’est alors qu’il revoit" les revers' les échecs
Tordesillas' partage" inégal' infamant.
L’empereur tyrannique" et le pape complice
Hollandais et Français" postés en embuscade
Pareils à des vautours" attendant le déclin.
Sommes-nous trop petits" pour cet immense empire?
Dans le bougeoir de grès" la vacillante flamme
Diminue lentement" s’affaiblit' se réduit.
La jaunâtre lueur" comme un rayon funèbre
S’étale sur la joue" du monarque blafard.

La chandelle s’éteint. Le roi n’est plus qu’une ombre.

À TRAVERS L’ATLANTIQUE

Les voici carénés" les cinq vaisseaux brillants
Dans la profonde rade" au port de San Lucar.
Mais combien reviendront" mouiller dans la même eau?
Combien résisteront" aux épreuves futures
Dans quel état piteux" mutilés' dégradés
Par l’incessant combat" contre la mer féroce?
Les voici' plein d’espoir" les fiers navigateurs
Mais combien reverront" la sainte Giralda?
Combien de rescapés" courbés' découragés
Fouleront de nouveau" les pavés de ce quai?
Résilience héroïque" ou folie téméraire?
Nef' tombeau dérivant" geôle survivaliste?
Jamais jusqu’à nos jours" plus grandiose entreprise
N’avait mobilisé" l’énergie des humains.

Les ancres sont levées" le sort en est jeté.

*

Bientôt vers le Nord-Ouest" aux regards apparut
Le rivage d’une île" entourée de falaises
Telle un vaste verger" protégé de murailles.
La bénéfique mer" charriant des courants tièdes
Paraissait la serrer" dans ses bras amoureux.
Balcon floral' Madère" aux terrasses fertiles
Babylone atlantique" aux opulents jardins
Lieu béni par les dieux" comblé par la Nature
Le royaume des fleurs" dont l’éther est effluve
Dont nébulosités" sont nuées de pétales
Dont l’Aquilon violent" alangui dans les palmes
Devient brise odorante" et zéphyr embaumé.
Les arbres déployaient" leurs denses frondaisons
Comme si les baisait" la féconde Pomone.
Le sol était couvert" de blondes emblavures
Comme si l’eut touché" Cérès la moissonneuse
«Nous t’aimons' étranger" viens sentir nos arômes
Laisse-toi pénétrer" par nos grisants parfums»
Paraissent murmurer" les radieuses corolles
Des geraniums' des anthuriums' des agapanthes

*

Calmement l’on voguait" déjà depuis trois jours
Quand à bâbord au loin" soudain se profila
Des îles désolées" dénudées' morcelées
Telles rivets de fer" plantées dans l’Océan.
Les vagues déchaînées" pareilles à des guivres
Semblaient férocement" assaillir les rivages.
L’on y voyait partout" qu’épineux arbrisseaux
Maladifs' rabougris" défiant le visiteur
Cactus' lourdes massues" hérissant leurs aiguilles.
«Nous te haïssons' passe" au-delà ton chemin»
Semblaient-ils proférer" dans un ricanement.
L’on eût dit qu’en ce lieu" seule pouvait survivre
L’engeance végétale" essaimée par Satan.
Les hommes stupéfaits contemplaient cet enfer
Sans comprendre pourquoi" la changeante Nature
Selon sa fantaisie" distribuait ainsi
La prodigue abondance" ou l’avare indigence.

*

Le paisible voyage" au large continue
Durant des jours sans grains" et des nuits sans brouillard.
L’onde semble endormie" le vent paraît inerte.
Cette ombrageuse mer" accepterait ainsi
De s’avouer vaincue" sans qu’elle eût combattu?
Mais un jour la vigie" pousse un cri déchirant.
Le matois Atlantique" effrayant' terrifiant
Dévoile aux matelots" son monstrueux visage.

«Débarrassez le pont" carguez toutes les voiles.
Rajustez les sabords" vérifiez l’écoutille.
Baissez les fauconneaux" resserrez les haubans»
Les marins en tous sens" fébrilement s’activent.
Les toiles sont pliées" enroulées' recordées
Brigantine en premier" sur le mât d’artimon
Grand perroquet' puis trinquette' enfin civadière.
Le beaupré' le grand mât" et le mât de misaine
S’élèvent dénudés" tels billes effeuillés.
Sur les bittes on lie" fils de caret' cordages.
Sur la décharge on noue" les drisses renforcées.
Le navire est paré. Les matelots sont prêts.
Magellan vérifie" l’ensemble des agrès.
Plus une voile aux mâts. L’impérial pavillon
Seul orgueilleusement" affronte l’ennemi.

C’est alors que s’avance" en un fracas d’enfer
Le front uni des nues" compact' impénétrable.
Soudainement' la nuit" enveloppe la nef.
Le vent fouette la vague" ainsi qu’un destrier.
La houle est devenue" lames acrimonieuses.
L’agressif océan" hérisse monts' pics' cimes
Creusées de vallées' dépressions' ravins' canyons
Qu’un séisme secoue" bouleverse et renverse.
Le rouleau s’élevant" comme un liquide muscle
Nourri par la fureur" du souffle qui l’excite
Lentement se dilate" et rassemble sa force
Puis s’abat' se répand" en gerbes écumantes.
L’ondée fuse et crépite" ainsi qu’une mitraille.
Le ciel' canon géant" bombarde les navires
De ses brutaux boulets" traversant l’atmosphère.
Le zigzaguant éclair" fend brusquement l’espace.
Durant un court instant" flamme luciférienne
L’aveuglante clarté" brise l’obscurité
Par sa vive lumière" électrique' irréelle.
Soudain' le feu Saint-Elme" au sommet de la hune
S’allume épouvantant" les gabiers religieux.
Le terrible roulis" couche la caravelle
Tandis que le tangage" en avant la culbute.
Les vergues affolées" fébrilement tournoient
Comme au-dessus du pôle" une aiguille aimantée.
L’eau de mer' l’eau des nues" en trombe projetée
Submerge la dunette" envahit le gaillard
Coule sur le tillac" dans les soutes s’épanche.
Suffoqués' étourdis" les matelots s’agrippent
Sur le bois du plat-bord" les crochets des pavois
Tandis que la rafale" ennemie lancinante
Malmène leurs cheveux" siffle dans leurs oreilles
Secoue leurs vêtements" et fouette leur visage.
L’on croirait des harpies" remontées de l’Erèbe.
Les voilà maintenant" maîtresses du vaisseau.
L’une pousse en tous sens" le gouvernail sans frein
L’autre dans ses mains tord" les agrès distendus
La troisième saisit" la tunique d’un mousse.
Le grand mât fléchit' ploie" mais résiste à l’assaut
Car il est maintenu" par les haubans solides
Que les filles au port" ont patiemment filés.
D’elles dépend l’issue" du combat indécis
D’elles dépend la vie" des marins démunis.
Les hommes sont tremblants' terrifiés' effarés
Leur fougue et leur vigueur" sont ici dérisoires.
La preste jouvencelle" aux délicates mains
Sans jamais s’arrêter" sans jamais se lasser
Tournant au long du jour" le rouet monotone
Dompte modestement" le colosse Atlantique.

Cependant la tempête" imperceptiblement
Relâche son étreinte" et calme son courroux.
Tarie' l’ondée s’épuise" et le vent s’affaiblit
Comme si l’amiral" gouvernant cette armée
Par un décret subit" obscur' énigmatique
Venait de convoquer" ses galions aériens.
C’est alors qu’apparaît" par les nues déchirées
Le timide soleil" aux rayons apaisants.

«Marie' sois remerciée" Vierge-du-Bon-Succès.
Toi qui par la douceur" fléchis les éléments»

*

La côte américaine" à tribord apparaît.
Le Brésil' vierge terre" où Cabral aborda.
Poursuivant son dessein" Magellan cingle au sud
Négligeant d’explorer" ce vaste continent.
Parmi les matelots" cependant court le bruit
Qu’en ce pays béni" ruisselle partout l’or
Que partout pierreries" diamants' jais et topazes
Roulent sous les talons" de fortunés Indiens.
Lors' voici qu’un danger" plus redoutable encor
Menace Magellan" solitaire' isolé’.
Se trouve-t-il caché" sous le manteau liquide?
N’est-ce pas le récif" prêt à briser la coque?
Réside-t-il aux cieux" masqué par le nuage
Qui pourrait s’écrouler" en tempête subite?
Non' ce danger ne vient" ni de l’air' ni de l’eau
Car il est embusqué" nulle part et partout.
C’est la mutinerie" terreur des capitaines
L’invisible péril" tapi dans les cœurs lâches.
D’abord insignifiant" le voici lentement
Qui dans l’ombre serpente" insinuant ses desseins.
Transmis de bouche en bouche" il s’enfle et se propage
S’amplifie de rumeurs" déformées' infondées
Se nourrit de rancœurs" s’engraisse d’ambitions.
D’où vient cet équipage" aux risques insensible?
Deux cents marins' têtes brûlées' parias' bagnards
Condamnés' graciés' réprouvés' piliers de gargote
Ramassis de fripons" sans parole et sans foi
Racaille recrutée" par l’appât des richesses
Rêvant de brigandage" et sordides plaisirs
Préférant le profit" chimérique' éphémère
Plus que gloire éternelle" au mémoriel fronton.
Contradiction' contresens' paradoxe impensable
Maintenant les voici" qui veulent évincer
L’homme providentiel" pourtant leur défenseur.
Tel est un naufragé" détruisant' inconscient
La bouée qui le porte" et lui sauve la vie.
Le capitaine seul" émérite' éprouvé
Peut trouver' repérer' la favorable voie
Lui seul peut éviter" les écueils' les maelströms
Lui seul dans l’inconnu" peut guider le navire
Lui seul peut déchiffrer" le firmament obscur
Mesurer la hauteur" qu’atteignent les étoiles
Déterminer sans faute" exacte longitude.
Le mal de plus en plus" gagne tous les gabiers.
Comment le prévenir" comment l’éradiquer?
Magellan' circonspect" découvre les meneurs
L’un après l’autre isole" et confond les mutins
Rabat comme un chasseur" le gibier épuisé.
Puis vient le châtiment" rigoureux' sans pitié.

Les fautifs sont occis" la mer est leur tombeau.

*

L’on avait dépassé" la pointe brésilienne
Pour suivre en cabotant" le bord du continent
Qui s’allongeait toujours" sans jamais s’ébrécher.
Pourrait-on voir enfin" l’extrémité' le bout
De ce cap infini" plongeant dans l’Inconnu?
Déjà' l’on grelottait" lorsque tombait la nuit.
Le givre matinal" recouvrait les agrès.
De l’australe étendue" montait le vent glacial.

Puis un jour apparut" un mont abrupt voguant
Larme figée du pôle" étincelant rocher
Gigantesque diamant" éblouissant de feux
Bâtiment détaché" de l’antarctique flotte
Sans barre et sans timon" gonflant ses blanches voiles
Cathédrale baroque" ou basilique antique
Façonnée' maçonnée" de cristalline glace
Qui dérobe au regard" ses fondations profondes.
Le vent' sculpteur fantasque" en sa tendre matière
Cisèle chapiteaux" pilastres et rinceaux.
Mais à peine engendré" lisse et resplendissant
Tel virginal enfant" dans sa tendre jeunesse
Le voilà qui vieillit" inéluctablement
Se fissure en sillons" où l’eau vive s’écoule
Rides enlaidissant" un visage éploré.
Corrodé' raviné" par la mer insatiable
Chauffé par les rayons" de l’avide soleil
Son cristallin réseau" ligotant les atomes
Fond' vibre intensément" se desserre et s’écroule.
Miné par le courant" son instable édifice
Pivote brusquement" bascule et se retourne.
Sa base devient faîte" et sa crête racine.
Voilà qu’il se réduit" se transforme en glaçon
Pour s’épancher' vaincu" par l’énorme Atlantique.
Le minéral géant" bientôt sera néant.

Verrait-on l’océan" se couvrir d’icebergs
La mer se refermer" dans ce glacial étau
Que forme la banquise" épaisse' inabordable.
Magellan sans répit" explorait chaque baie
Tel un rusé guerrier" dans la cuirasse cherche
Le défaut' la jointure" où pénétrer son glaive.
De ce duel singulier" qui finira par vaincre
L’Homme développant" action' discernement
Du continent passif" dont l’arme est inertie?
Mais l’ennemi présente" au hardi conquérant
Le bouclier uni" de son rivage aveugle.
Nul découragement" n’atteint le découvreur.
Le combat se poursuit" baie par baie' patiemment.
C’est alors qu’un matin" l’on s’engage en un golfe.
Le passage s’enfile" au sein du continent
Tel muraille ennemie" tel fort inexpugnable.
Serait-ce un traquenard" que lui tend l’Amérique
Déchirant en ses rocs" tels merlons aquatiques
Les fragiles vaisseaux" lancés pour l’investir?
Signe prémonitoire" on aperçut bientôt
Sur le bord une croix" fichée dans une dalle.
Dépouille du héros" qui de sa vie paya
D’avoir pu le premier" contempler de son œil
La face dévoilée" de l’océan nouveau.
«Si je devais demain" rejoindre sa dépouille
Je poursuivrais ma route" heureux' le cœur serein»
Dit le navigateur" exhortant ses marins.
D’un côté l’on voyait" s’élever des fumées
La Terre en feu semblait" se dissiper aux cieux.
De l’autre agonisait" la cordillère andine
Grandiose effritement" du continent broyé
Disloqué' démembré' noyé' pulvérisé
Dans l’abysse immergeant" son dorsal éperon.
Ses pitons orgueilleux" qui s’élevaient aux nues
S’engloutissaient ici" dans la fosse liquide.
Les aigles côtoyaient" ses crêtes enneigées
Les rais hantent ses flancs" recouverts de limon.
Sa tête s’enivrait" dans le ciel éthéré
Ses pieds sont asphyxiés" par les alluvions glauques.
Puis elle disparaît" heurtant l’asthénosphère
Dans l’intense fracas" d’effroyables séismes.
Mais l’ennemi réduit" tente encor d’égarer
Les audacieux marins" dans son étroit dédale
D’îles écran masquant" l’issue libératrice.
Magellan' godillant" habilement déjoue
Le dernier traquenard" de la terre épuisée.
Le rivage s’écarte" et soudain' le grand large.
Serein' le conquérant" contemple sa victoire.
La vague obéissante" à ses pieds s’adoucit
Tel' enchaîné' le monstre" asservi par Saint Georges.
Ne traverse-t-on pas" une huileuse étendue?

«Je n’ai vu dans ma vie" de mer aussi paisible.
Nommons-la pour toujours" l’Océan Pacifique»

À TRAVERS LE PACIFIQUE

L’océan Pacifique" uniforme' infini.

Son flanc sur l’équateur" se pâme au soleil chaud
Son bord aux pôles froids" caresse les banquises
Vers le Couchant s’étale" au pourtour asiatique
Vers le Ponant s’enfonce" aux pieds de l’Amérique.
Déversant leur magma" ses dorsales repoussent
Les continents brisés" tels immenses radeaux.
Comme infimes bougies" les bouches volcaniques
Sont noyées' submergées" par sa chape étouffante.

L’océan Pacifique" uniforme' infini.

Sa masse aquatique' impénétrable' insondable
Vertigineusement" s’approfondit' s’enfonce
Telle une pyramide" énorme étagement
De moellons transparents" et de briques verrines
Dont la base est ancrée" dans les replis des strates.
L’onde paraît la chair" tremblant et frémissant
D’un corps appesanti" léthargique' apathique.
La vie grouille et fourmille" en ses glauques entrailles
Niche où sans répit croît" la faune pélagique
De la surface claire" à la profondeur sombre.
Le dérivant plancton" le krill' tripton' seston
Prolifère et pullule" aux rayons du soleil
Bactéries et daphnies" cyanophycées' protistes
Gyrodinium' cryptochrysis' thysanœssa
Diatomées digitées" et coccolithophores
Manne qu’en ses fanons" la baleine ratisse.
Plus bas' dans les courants" de la zone photique
Bonites et lamies" barracudas' mérous
Les sinueux poissons" myriades opalines
Sillonnent l’édifice" ondoyant' frétillant.
Plus au fond évoluent" dans la zone bathyale
Cachalots monstrueux" et pieuvres gigantesques
Verruqueuses baudroies" linophrynes barbus
Puis nemichthys' haches d’argent' mélanocètes
Qui dardent prudemment" leurs yeux télescopiques
Sondant l’obscurité" par de verts pyrophores.
Sur le benthos enfin" de la fosse marine
L’ophiure écartelée" tord ses bras squelettiques.
L’encrine ramifiée" s’accroche sur le roc
Tandis que dans la vase" aux confins ténébreux
Se traîne pesamment" l’informe holothurie.

L’océan Pacifique" uniforme' infini.

Le soleil' globe avide" en sa coupe s’étanche
Sans jamais en tarir" le breuvage salé.
Ses courants entraînant" la thermique énergie
Tel un régulateur" modérateur physique
Fraîchit les étés chauds" tiédit les froids hivers.
Sa nappe étale s’enfle" aux nocturnes rayons
S’étire et se distend" sous la diurne clarté.
L’eau boueuse du fleuve" en son ventre évacue
Sans jamais le remplir" ses limoneux débris.

L’Océan Pacifique" uniforme' infini.

Si d’un coup se levait" son corps cyclopéen
La Terre inverserait" sa giration cosmique
La croûte séparée" se démantèlerait
Pour se pulvériser" dans le champ galactique.

L’Océan Pacifique" uniforme' infini.

Depuis l’âge premier" de l’Antécambrien
Son flot emprisonnait" la Pangée rétrécie.
Quand tous les continents" un jour seront détruits
Que le roc érodé" retournera dans l’onde
Que les massifs' les monts" deviendront sable' arène
Lui seul habitera" la morne solitude.

L’Océan Pacifique" uniforme' infini.

Cependant les marins" ne voient pas sa grandeur
Cependant les marins" ne voient pas sa puissance.
«Croyez-moi' cette mer" est exigu bassin
Qu’en peu de jours bientôt" nous aurons dépassé.
Voyez' cet océan" n’est pour nous redoutable
Nul orage violent" ne saurait l’agiter.
L’on peut sans nul danger" hisser le cacatois»

Lors passent les journées" et passent les nuitées.
La vigie dans sa hune" en vain sonde l’espace.
«Marin' dis-moi' dis-moi" si tu vois une terre»
«Mon capitaine' enfer" je ne vois que la mer»

Lors passent les journées" et passent les nuitées.
La vigie dans sa hune" en vain sonde l’espace.
«Marin' dis-moi' dis-moi" si tu vois une terre»
«Mon capitaine' enfer" je ne vois que la mer»

Lors passent les journées" et passent les nuitées.
La vigie dans sa hune" en vain sonde l’espace.
«Marin' dis-moi' dis-moi" si tu vois une terre»
«Mon capitaine' enfer" je ne vois que la mer»

L’immobile horizon" de tous côtés s’étend.
Rien ne vient agiter" la houle régulière
Telle un tressaillement" parcourant l’épiderme
D’un immense organisme" étendu sur la Terre.
Dominés' écrasés" les homme s’interrogent.
L’océan' l’océan" guéret morne' infécond
L’océan' l’océan" glèbe aux sillons mouvants.
Pourrait-il recouvrir" la surface du globe
S’étaler sans limite" aux confins tropicaux?
Possède-t-il aussi" des vallées et des monts
Sous l’opaque drapé" de ses profondes eaux?
Plutôt ne cache-t-il" une plaine infinie?
«Pacifique' ô' n’es-tu" mer sans bord' sans rivage
Corps d’un liquide monstre" enveloppant la sphère?
Pouvons-nous concevoir" un aussi grand espace?
Comment put venir là" cette masse aquatique?
Ces fragiles radeaux" qu’on nomme caravelles
Ces mobiles châteaux" qui pour douve ont l’abîme
Peuvent-ils aborder" sur un sol te cernant?»

«Ma science fut trompée" matelots' j’en conviens
La force pour ce flot" n’est l’ouragan violent
Qui rompt le bâtiment" et l’entraîne aux abysses
Mais plus funeste encor" l’immensité sans borne
Qui lentement l’épuise" et lentement l’étouffe.
Cependant nous vaincrons" sa terrible puissance»

L’irrépressible faim" tenaille les marins
Tiraille sans répit" l’œsophage étranglé
Secoue de contractions" l’estomac rétréci.
La faim' sourde exigence" intolérable' atroce
Qu’inflige l’organisme" à l’esprit asservi.
La faim' continue torture" incessant tourment
Qui ne peut s’atténuer" qui ne peut s’apaiser.
Le corps des matelots" s’amaigrit lentement.
L’asthénie paralyse" un par un tous leurs membres.
Se creuse leur poitrine" et s’amincit leur ventre.
Leur visage émacié" devient méconnaissable.
Vont-ils dans quelques jours" tomber inanimés
Demeurer sur le pont" couchés' sans force' inertes?
Sous l’austral horizon" d’inconnus indigènes
Verront un jour lointain" sur la mer divaguer
Le profil effrayant" d’un funèbre navire
Sépulcrale vision" macabre apparition.
Leur face blêmira" sous leurs cheveux dressés
Lorsqu’en un bref éclair" ils verront s’agiter
Par le faisceau blafard" des nocturnes rayons
Sur le pont délabré" des squelettes livides.

Les cupides marins" que l’appât des richesses
Jadis avait dressé" contre leur capitaine
Dans l’inhumaine épreuve" unissent leurs efforts.
Dans leur adversité" la fraternité soude
Portugais' Allemands" devenus amicaux.
Français comme Espagnols" de même coopèrent
Tandis qu’en leur pays" de l’Europe lointaine
Poussés par l’ambition" leurs monarques s’affrontent.

«Pourquoi cet océan" paraît-il aussi calme?»
«Pensez-vous qu’on ait vu" s’agiter un linceul?»
«Consolez-vous marins" voyez les croix géantes
Que seront les trois mâts" pour veiller vos dépouilles»
«Quel triomphe pour nous" qu’un mausolée voguant»

L’on vit sur l’onde un jour" des éperons courbés
Comme couteaux aigus" tailladant une chair.
Les requins attendaient" faméliques chacals.
Sous la surface claire" on devinait parfois
Leur féroce mâchoire" aux dents acuminées.
«Saluez-les' marins" car ils auront l’honneur
De goûter les premiers" le sang frais des humains»
«Pourtant point ne feront" d’ample gobichonnage.
Pour eux' maigre pitance" ils n’auront que des os»

Lors' passent les journées" et passent les nuitées.
La vigie dans sa hune" en vain sonde l’espace.
«Marin' dis-moi' dis-moi" si tu vois une terre»
«Mon capitaine' enfer" je ne vois que la mer»

Lors' passent les journées" et passent les nuitées.
La vigie dans sa hune" en vain sonde l’espace.
«Marin' dis-moi' dis-moi" si tu vois une terre»
«Mon capitaine' enfer" je ne vois que la mer»

Lors' passent les journées" et passent les nuitées.
La vigie dans sa hune" en vain sonde l’espace.
«Marin' dis-moi' dis-moi" si tu vois une terre»
«Mon capitaine' enfer" je ne vois que la mer»

«Pacifique impavide" engloutis nous bientôt.
Montre-nous ta colère" au lieu de nous bercer.
Raccourcis nos douleurs" abrège nos souffrances.
Nous préférons mourir" dans le rude combat
Qu’épuisés lentement" dans l’inaction pesante»

Puis un jour la vigie" de sa hune lança
Le cri libérateur" qu’en vain l’on attendait.

L’immense Pacifique" était vaincu par l’Homme.

*

La première île abonde" en oiseaux' fruits vermeils
Dont les aventuriers" avidement se gorgent
Pour satisfaire ainsi" la faim les tenaillant.
Vivres et provisions" remplissent les vaisseaux.
Point d’hommes cependant" que l’on put rencontrer.
«Ce pays n’est encor" celui que nous cherchons.
Reprenons' matelots" notre navigation»

Mais les nefs sont bientôt" cernées par les récifs
Myriades parsemant" le maritime champ.
Tels anneaux prodigieux" émergaient les atolls
Protégeant en leur centre" un limpide lagon.
Les gabiers se penchant" par-dessus le pavois
Contemplaient fascinés" sous la surface plane
Ce trésor englouti" de la faste Nature.
C’est ainsi qu’apparaît" à l’incrédule enfant
D’une joaillerie" la brillante vitrine.
L’univers corallien" déployait ses merveilles.
Tout semblait pierreries" bijoux' camées' émaux
Dans ce riche décor" aux teintes flamboyantes.

C’est un monde inversé" caverne féerique
Dédale prodigieux" d’un rêve minéral
Forêt surnaturelle" irréelle' aquatique
Plongeant ses branches nues" dans la profondeur glauque
Volutes ou massifs" résilles ou réseaux
Bourgeonnements trapus" ou graciles rameaux.
Des balistes errant" sur les sentiers marins
Pareils à des ballons" nageaient languissamment
Bercés par le courant" Zéphyr de l’Océan.
Tels mobiles d’argent" les bancs de callyodons
Lentement tournoyant" s’allumaient' s’éteignaient.
Les vermeils ptéroïs" mosaïques d’écailles
Chatoyaient' scintillaient" sur l’écrin bleu des flots
Talismans byzantins" en malachite pure
Chamarrés' pointillés' rayés' zébrés' niellés
D’anneaux' de pent-à-col" de boucles et de bagues.
Leur œil hypertrophié" simule un grenat vif
Leur soyeuse nageoire" est éventail lamé.
Le saphir' le zircon" rivalisaient d’éclat
Dans la teinte pâlie" des vertes olivines.
Mouvant leurs ailerons" d’émail opalescent
Les raies sillonnaient l’onde" ainsi que des mouettes.
La méduse flottant" silhouette évanescente
Révélait sa dentelle" en cristal irisé.
Digitales des mers" les violets spirographes
Poussaient dans la prairie" des vastes madrépores.
De frêles actinies" comme étoiles benthiques
Dessinaient' lumineux" un tapis d’astragales.
Quelquefois d’une passe" au regard invisible
Surgit une murène" ainsi qu’un masque horrible
Maori terrifiant" resurgi de l’Abîme.
La fantasmagorie" tournoie soudain' chavire
Dans un mouvement brusque" entraîne sous les eaux
Les myriades figées" de poissons' de polypes
Réverbérant d’éclairs" scintillations' reflets.
Puis le miroir sublime" à nouveau s’aplanit
Comme l’univers clos" d’un kaléidoscope
Dévoilant à nos yeux" des splendeurs ignorées
Monde fascinant' cruel' dangereux' superbe.
Quel divin bijoutier" forgea tous ces camées?
Quel diabolique orfèvre" intailla ces merveilles?
D’où pouvaient provenir" ces gratuites beautés
S’interrogeaient en vain" les marins incrédules.

Puis levant le regard" en face d’eux ils virent
Le ruban d’une plage" au sable satiné.
Les cocotiers ployés" langoureusement penchaient
Leur cou démesuré" sur la vague fuyante
Comme pour y poser" un amoureux baiser.
Tout paraissait ici" volupté continuelle
Tendre sensualité" perpétuelle jouissance.
Les Îles Fortunées" la vallée de Nysia
Le jardin merveilleux" séjour de l’Hespéride
Pount' Capoue' Chanaan" fusionnant' se fondant
N’auraient pu supplanter" ce paradis unique.
C’est alors qu’apparut" un groupe séduisant
De jouvencelles nues" vahinés au corps souple
Ceintes élégamment" d’un léger pareo.
La tiare aux vives fleurs" d’hibiscus et jasmins
Recouvrait leurs cheveux" épousait leur poitrine.
«Pourquoi subirions-nous" loin d’ici des souffrances
Lors qu’à notre portée" se trouvent ces délices?»
«Pourquoi tenter la Mort" quand la Vie nous appelle?»
Gémissaient tous en chœur" les marins envoûtés.

Sans qu’on dût l’attacher" sur le mât du navire
Comme Ulysse impassible" aux chants de la sirène
Magellan fermement" fit maintenir le cap.

HENRIQUE

Dépassant les atolls" bientôt l’on aperçut
Le bord d’une longue île" étirant son rivage.
Magellan fit ancrer" les vaisseaux dans un golfe.
Lors il fit aborder" son esclave Henrique.
«Dis-moi si tu comprends" ce langage autochtone»
«Maître' oui' c’est bien celui" qu’on parle en mon pays»
L’œil noir du conquérant" s’illumina soudain.
Lui qui n’avait jamais" relâché sa tension
Fernand de Magellan" transfiguré d’un coup
Regardait l’océan" bientôt son mausolée
«Qu’importe maintenant" ma vie que Dieu seul tient»

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007