LES BARBARES

Poème épique de Claude Ferrandeix évoquant l'invasion de l'empire romain par les Barbares: la campagne arverne, Augustonemetom, prise du temple de Mercure au sommet du Puy-de-Dôme par les Wisigoths.


Sur la vaste Limagne" en plein cœur de la Gaule
Qu’arrose une rivière" écumant sur le roc
Monte un nuage sombre" à l’horizon poudreux.
L’on distingue là-bas" des combattants affreux
Hérissés de massues" de piques et de haches.
Le pâtre pacifique" au milieu des brebis
Devant cette vision" dans l’ardente lumière
Sent un frisson glacé" parcourir tous ses membres.
Sont-ils de vrais humains? Ne sont-ils pas des spectres?
N’est-ce pas Gaïa qui" s’ouvrant comme au Cyzique
Libéra ces troupeaux" de l’infernal Tartare?

Fer et lame vivante" avancent les Barbares
Dépeçant' transperçant" la Romania mourante.

Foule désordonnée" les voici qui se pressent.
Leurs cheveux blonds et roux" sont pareils aux flambeaux.
Leur peau des monts neigeux" a la teinte livide
Leur œil a la couleur" des horizons nordiques.
Leurs visages sont purs" sauvages et farouches
Car ils ont la vigueur" des races primitives
L’ardeur' l’intrépidité' la force et la foi.

Le jour comme la nuit" ils conservent leurs armes
De runes ciselées" et de nielles gravées
Dans la main la framée" dans le poing la francisque
La scramasaxe au ventre" à la cuisse l’angon
Car elles sont pour eux" amulette et fétiche
D’où leur viennent argent" gloire et butin' richesses.
Leur glaive aigu tue mieux" que l’aspic redoutable
Par le violent poison" du caraxé tranchant.
Dans la bataille ardente" ils secouent violemment
Leurs boucliers vermeils" dardant l’ombon doré
Comme des yeux géants" à la prunelle vive.
Leurs tibias sont couverts" de longs houseaux d’airain.
Des baudriers cerclés" sont noués à leur taille.
Les joyaux d’almandine" aux cloisons de clair étain
Brillent sur la fourrure" épousant leur tunique
Tels empreinte sanguine" et stigmate farouche.
Les défenses de renne" à leur cou s’entrechoquent.
Lorsque Wotan glorieux" leur accorde victoire
La bière à flots s’épanche" en l’honneur des héros
Bienheureux festoyant" au Walhalla splendide.
La broche en or de Frey" les rend tous intrépides.
L’effigie de Nerthus" les protège des traits.
Le médaillon de Thor" foudroie leurs ennemis.
Les couplets de l’Edda" résonnant en leurs bouches
Dévie de leur chemin" les elfes malfaisants.
Leur pensée n’a qu’un but" et n’a qu’un seul dessein
La guerre' ignominie" grandeur glorieuse et vile
Mêlant et confondant" courage et cruauté.
La fuite et la frayeur" sont inconnus chez eux
Car ils ont pour désir" de mourir au combat.

Ils ont vu des monts' des mers' des pays' des peuples
Ne sachant ce qu’ils sont" et comment on les nomme.
Jamais ils n’ont connu" le généreux terroir
Que Cérès affectionne" et qu’Apollon chérit.
Venus de leurs contrées" où toujours Borée souffle
Des journées sans répit" vers le Sud ils marchaient
Disloquant les villas" détruisant les sanctuaires
Dévastant les vergers" saccageant les récoltes
Ravageant les cités" renversant les murailles.
Lors' ils avaient brûlé" Decetia' Vesontio
Délabré Tullum' Autricum' Avaricum.

La saison précédente" aux Palus-Méotides
Vers l’Est un jour l’on vit" d’immondes créatures
Cavales prolongées" par de simiesques têtes.
Leur face était rainée" de cicatrices rouges.
Des poils couvraient leurs bras" et leurs jambes difformes.
Sous l’azur ou les nues" toujours ils galopaient
Dévorant la chair tiède" après le dur combat
Proférant pour langage" un hideux grognement.
Jamais ils n’ont senti" la douceur d’un abri.
Jamais ils n’ont gravé" sur une pierre un signe.
Jamais ils n’ont jeté" la graine dans la glèbe.

Lors afin d’échapper" à ces tribus terribles
De la Vistule au Rhin" les Wisigoths partirent
Laissant à l’ennemi" le pays des aïeux.

Mues par la décision" des mystérieux Destins
S’ébranlaient vers le Nord" les vagues migratoires
Dans leur giron charriant" la diaspora des peuples
Formidable marée" du grand déluge humain.
Ces lames qui venaient" du blanc septentrion
Déferlaient sans répit" sur les contrées sudiques.
Les hordes surgissaient" chevelues' monstrueuses
Noirs Hariens barbouillés" et brandissant des chaînes
Tels spectrales armées" fantômatiques troupes
Braccates et Lombards" Némètes et Cornutes
Sédusiens' puis Vangions" Vandales et Burgondes
Gépides entraînés" par le Skire et l’Yazyge
Qui suivent la percée" des Marcomans' des Squades
Scythes et Roxolans" des nordiques toundras
Suèves avec Ubiens" Chérusques et Germains
Wisigoths se ruant" sur la Grèce et la Thrace.
Là-bas' près de l’Oural" au-delà du Caucase
Le Petchenègue au Slave" âprement se dispute
Les régions arrosées" par le Niepr' la Volga
Cependant qu’Avars' Magyars' Huns en Pannonie
Poussent leurs bataillons" vers les fécondes plaines.
Les défenses pliaient. C’est ainsi qu’un matin
Le fort de Noréia" fut d’un coup submergé
Par la brusque ruée" des Ambrons et Teutons.
Puis les colons d’Olbia" sur le forum voient fondre
Les hurlantes nuées" galates et bastarnes.
La digue du limes" craque sous la pression.
Dans l’enceinte rompue" s’infiltrent les peuplades.
Par les consuls trahie" par le Sénat prodite.
L’armée ne parvient plus" à colmater les brèches.
Les cohortes noyées" par ce flux belliqueux
Laissent les ennemis" submerger les cités.
C’est ainsi que se meurt" la Romania vaincue
Trirème sans vigie" délaissée par ses nautes.
C’est ainsi qu’étonnés" les Wisigoths découvrent
La féconde invention" de Sagesse et Patience.
Lors' temples et villas" propylées' basiliques
Ne sont plus dans leurs pas" que décombres fumants.

Confrontation terrible" et dramatique heurt
La Civilisation" contre la Barbarie
Discordance tragique" entre science' ignorance.
L’esprit devient soumis" par la brutalité.
L’anguipède vainqueur" foule aux pieds le Romain.
Les enfants de Mannus" domptent ceux de Vénus
Car depuis si longtemps" ils ne peuvent savoir
Qu’ils sont d’un même sang" qu’ils étaient jadis frères.
Vigueur et volonté" leur accordent succès.
Grisés par leur avance" ils paraissent clamer
«L’heure est pour nous venue" de posséder enfin
Notre lot de soleil" d’azur' de champs fertiles
Notre historique part" de grandeur et de gloire»

Les voilà traversant" le pays des Arvernes
Dernier rempart dressé" face à leur invasion.

Des plateaux s’élevaient" bordant la vaste plaine.
Sur la droite apparut" une montagne abrupte
Qui semblait fermement" leur barrer le passage
Telle une sentinelle" observant l’ennemi.
La cime scintillait" d’une clarté blanchâtre.
S’approchant plus encor" dans le brouillard ils virent
Des parois' des frontons" cippes et propylées.
Terrible' un cri sauvage" en leur poitrail jaillit.
Les voilà se ruant" à l’assaut du sanctuaire.

*

Cependant sur le mont" trônant en son naos
Le dieu méditatif" sereinement se penche.
Le voici dans ce lieu" depuis que Zénodore
Cisela son profil" dans le fin Proconèse.
Le sculpteur inventif" de cette masse informe
Dégagea corps' mèches bouclées' barbe fleurie
L’habilla de la toge" au maintien rigoureux
De la pennule souple" écartant les ondées
La coiffa du pétase" évitant les rayons.
Puis de bronze et d’argent" patiemment il forgea
Son caducée' laurier" mêlant' réunissant
Les serpents de Concorde" aux ailerons d’Action.
Pour lui bâtir un temple" à nul autre pareil
D’Égypte on ramena" le précieux vert antique
De l’Adige écumeux" le jaune cipolin
De Luni le carrare" et le paros de Grèce
Mariés à la domite" à l’andésite arvernes.
C’est là que vient le dieu" quand las des libations
Plus il ne se distrait" parmi les Olympiens.
De même toi' brillant Pythien' fils de Latone
Pour la cime vellave" où ton masque devise
Tu quittes quelquefois" les vallées du Parnasse.
Toi' Cérès' délaissant" ta ville d’Éleusis
Tu viens semer ici" les guérets limanais.

En ce pays forgé" par le feu de Vulcain
Pas d’oliviers tortus" au clair feuillage épars
Mais le géant mélèze" aux lourdes ramées sombres
Pas de suave zéphyr" caressant les falaises
Mais l’écir souffletant" la chair nue des volcans
Pas d’arides coteaux" sous l’azur lumineux
Mais les vertes prairies" sous l’horizon blafard.
Le gigantesque puy" dans le ciel pâle émerge
Comme un îlot battu" par les vagues brumeuses.
Les corruptions de Rome" en ce haut lieu n’arrivent
Débauches des Galliens" Nérons' Caracallas
Ni l’aveugle folie" des chrétiens fanatiques.
Vers le Nord' vers le Sud" la chaîne au loin déroule
Ses cônes scoriacés" necks' dômes trachytiques
Livrant aux grises nues" la gueule des cratères
Bouches hier saisies" d’une ire incandescente
Maintenant refroidies" en un sommeil profond.
Le dieu serein' pensif" considérant les monts
S’interrogee intrigué" par ces crêtes curieuses
Quel démon jadis but" en ces difformes buires
Ces lacustres maars" coupes remplies d’eau fraîche
Quel titan quand l’occit" le Cronide Tonnant
Sur le sol répandit" ces larmes basaltiques.

De tous côtés' là-bas" se déversent les cheires
Fougueux torrents de roche" au flux sombre figé
Que la mauve bruyère" en clairs festons revêt
Que la gentiane d’or" adorne par ses grappes.
Vers l’horizon l’on voit" des sucs' des plombs neigeux
D’où' plateaux entaillés" s’inclinent des planèzes.
Voici le pays cher" à Sirona la douce.
Les cendres patiemment" filtrent l’eau souterraine
Résurgeant de l’Erèbe" en sources merveilleuses.
Les perclus vont dédier" leurs votives idoles
Pour que s’ouvrent leurs yeux" que leur membre guérisse.
Non loin de Gergovie" l’oppidum imprenable
Qui jadis résonna" sous le martial fracas
Se détache la ville" Augustonemetum.
Les toits en corail vif" s’imbriquent l’un à l’autre
Par les ondulations" d’imbrex et tegulae
Que brisent quelquefois" les compluvia profonds
Puits noirs où tour à tour" Jupiter' Phœbus jettent
La fraîche pluie des nues" le faisceau des rayons.
De-ci de-là dressés" dans les vignes éparses
Vers le puy de Gravis" le pic Monrugosus
De petits hameaux clairs" étagent leurs villas
Bellus Mons' Obierum' Curnon' Periniatus.

La vie rustique s’offre" au pacifique dieu.
Retrouvant au printemps" les soucis de Cérès
L’homme conduit le soc" dans la féconde glèbe
Puis répand la semence" engendrant la moisson.
Quand le fils d’Hypérion" mûrit le tendre blé
Dans les champs blondissants" le vallus est guidé.
Par la herse brisés" les épis s’accumulent
Délaissant en faisceau" les réguliers andain.
La jolie pastourelle" arborant sa houlette
Garde les troupeaux roux" et les chevrettes blanches.
Mais Vertumne arrivant" de pourpre teint les feuilles.
Le joyeux vendangeur" la hotte sur l’épaule
Cueille au milieu des ceps" les trésors de Bacchus.
L’on récolte au verger" les fruits chers à Pomone
La groseille et le coing" l’amande et la noisette
La reinette craquante" et la prune fondante.
Le cellier se remplit" de légumes variés
Lentilles et pois verts" choux bleus' carottes rouges
Qui lors des jours mauvais" régaleront la ferme.
Dans la riche villa" sous les cryptoportiques
S’égouttent longuement" la noix et le raisin
Gorgeant d’huile ou de vin" la panse des amphores.
Le nectar blanc des pis" dans les éclisses caille.
Le gaperon piquant" et l’odorante fourme
S’affinent lentement" au fond des pots humides.
Voici bientôt l’hiver" et les hommes retrouvent
Le foyer où Vesta" veille sur les tisons.
La vapeur à nouveau" réchauffe l’hypocauste.
Les troupeaux ont gagné" l’étable protectrice.
Dépouillant les forêts" les premiers frimas chassent
La vaillante fourmi" dans sa galerie noire
La mellifique abeille" en sa ruche cireuse.
Proserpine a rejoint" son compagnon funèbre
Pendant que sur Nature" en maître absolu règne
Le grelottant Borée" dans son neigeux manteau.

Le dieu providentiel" assiste au fil des mois
Les travaux et les jours" dans la campagne arverne.
Sans repos il préside" aux hyménées' festins
Là' dirige un défunt" vers sa demeure ultime
De village en village" assiste les marchands.
Toujours actif' omniprésent' omnipotent
Sans répit il parcourt" les venelles et places
Guide les voyageurs" en pérégrination
Redonne du courage" au travailleur lassé
Trouve un gîte accueillant" au vagabond sans toit
Prête opportun secours" au coquin sycophante
Réunit les rivaux" qu’Éris a provoqués...

Mais plus que la campagne" il se plaît dans la ville.
D’un œil il suit la voie" s’éloignant du sanctuaire.
La voici qui descend" près de la Dordana
Franchit à Villarsum" les arcs de l’aqueduc
Musarde à Roïata" côtoie les parcs et thermes
Dans des verts maraîchers" se disperse en méandres
Pour enfin s’engouffrer" sous les hautes murailles
D’Augustonemetum" la ville des Arvernes.
Le dieu par la pensée" parcourt les rues bondées
Qu’animent son ardeur" et sa vitalité.
Là' toujours ubiquiste" il règle aux carrefours
Le passage des chars" le trafic des carrosses
Propose une réforme" à l’édile incertain
Suggère un placement" au banquier indécis
Puis conseille au Sénat" les délibérations.
Voici qu’il s’inhtroduit" jusqu’au fond des boutiques
Visite les dépôts" ateliers' magasins
Tonifie le foulon" frappant la souple étoffe
Le teinturier plongeant" son écheveau laineux
Le potier à son tour" modelant bols et vases
Favorise achats' ventes et marchés' échanges
Dans le thermopolium" où chacun se restaure
Dans la taverne pleine" où tintent les sesterces.
Mais il n’oublie non plus" vaquant à sa besogne
La belle patricienne" en sa riche domus.
Dès l’aube elle s’active" agrafe son peplum
Noue ses nattes piquées" aux deux côtés inverses
Rattache son collier" à l’ornement d’or fin
Se recueille un moment" en face du laraire.
Lors' elle distribue" l’ouvrage aux serviteurs
Veille sur la cuisson" des plats appétissants
Pose un bouquet d’œillets" tout près de la delphique
Met dans le triclinium" tous les acubitoires
Vérifie le bassin" du superbe atrium
Les carreaux émaillés" couvrant le tablinium.
Puis après le repas" avec l’hôte joyeux
La voici qui musarde" au milieu des pivoines
Se rafraîchit les mains" dans l’eau de la nymphée
Vomissant un jet frais" par la bouche du faune.
La voici qui médite" au fond du péristyle.
Se tournant vers le puy" dans son blanc capuchon
Fervente elle murmure" une prière ailée
Gloire à Toi' puissant fils de Maïa' gloire à Toi»

Pendant que le dieu songe" en contemplant sa ville
Brusquement sur le mont" apparaissent des piques
Des silhouettes casquées" aux regards menaçants.
Comme s’il fut de chair" on aurait dit qu’une ombre
Ternissait le teint clair" de sa face brillante
Car il sait que survient" le jour de son départ.

Nostagique il revoit" les hermésies ferventes
Quand son clergé revient" d’Augustonemetum.
Le pontife l’habille" en drapé de tigrine.
Les vierges du cortège" entonnent un poème.
Leurs cheveux sont auburn' roux' blonds ou bien châtains
Leurs yeux bleus ou bien noirs" comme saphirs et jaizes
Car dans leurs veines coule" un sang qui réunit
La puissance latine" à la fougue celtique.
Leur majestueux port" et leur digne attitude
Paraissent exprimer" en silencieux langage
«Comme nos sœurs là-bas" nous sommes des Romaines
Car d’Ilion sont venus" autrefois nos aïeux»
Dans leurs mains fines brille" un bouquet de jonquilles
Pétales d’or sertis" sur la tige émeraude.
La violette à leur tempe" imite l’améthyste.
L’immaculé narcisse" aux nivéens pétales
Rehausse leur peplum" de même qu’une opale.
Toutes parées' fardées" riantes et charmantes
L’on dirait qu’elles sont" enfants de la Cyprine.
Mais aujourd’hui plus rien" ni vierge et ni fidèle.

Avant de la quitter" le dieu contemple encor
La demeure où jadis" il aimait tant songer.
Puis son regard là-bas" dans la brume s’enfonce
Vers la Mare nostrum" la cité primitive
Lieu du sanctuaire où Diane" en son temple séjourne.
C’est la patrie chérie" par le hardi Nannus
Dont la fille sagace" au doux Protis remit
La phiale d’hyménée" la corne d’abondance.
Renouant à ses pieds" les cothurnes dorées
Le dieu' le cœur serré' s’élance dans l’éther
Soutenu par les vents" comme Iris Messagère.

*

Les Wisigoths déjà" parviennent au sommet.
Leur bataillon se rue" vers le seuil du sanctuaire
Comme un essaim féroce" attaquant une proie.
Lamentable curée" la destruction commence.

Les framées sont marteaux" les francisques massettes
Bronze percutant brèche" et fer écornant marbre.
Le javelot meurtrit" le corps des fûts cintrés.
Le poignard aigu fend" la chair des effigies.
Dans les joints ébréchés" les durs glaives s’immiscent
Déboîtant les tambours" des gracieuses colonnes
Qui tombent sur le sol" pareils à des vertèbres.
Les divins habitants" sidérés' impuissants
Perdent leurs pieds' leurs mains' leur nez' leurs bras et jambes
Puis sont démantelés" en tombant des podium.
Les mutules broyées" s’éboulent des corniches.
Pareilles sont les dents" sur une mandibule
Quand vient les fracasser" une lance ennemie.
Frontons' entablements" sont brisés' renversés.
Parmi les hurlements" l’on entendait plaintif
Le tintement léger" des vulnérables tuiles
Dans le grondement sourd" des linteaux s’ébranlant
Geignement du géant" qui supporte l’outrage
Vénéré par les uns" dégradé par les autres.
Les combattants brutaux" augmentent leur furie
Car ils n’ont de vergogne" à présenter leurs trognes
Face à l’idéal pur" des formes olympiennes.
Jusqu’à la nuit ainsi" quand Vesper enfin donne
Le signal du sommeil" apaisant les fatigues
Francisques et framées" sans repos démolissent.
Flèches et javelots" sans répit vandalisent.

Le temple merveilleux" qui paraissait clamer
Devant le visiteur" le découvrant soudain
Hautainement «Je suis» dit sombrement «Je fus»
Sa fierté' son orgueil" sont humiliés' bafoués.
Jadis il affrontait" le souffle du Notos
La fureur des mortels" aujourd’hui le soumet.
Les parements' les fûts" tels côtes et fémurs
Sont les os dispersés" du minéral colosse.
Rompu' son toit paraît" une échine ployée
L’opisthodome épars" une croupe enfoncée.
Les tuiles sont pilées" gigantesques écailles.
Partout sont répandues" les briques écarlates
Gouttes figées de sang" dans l’herbe des parterres.
Son poli si parfait" si fin' si délicat
Maintenant apparaît" miné' rayé' rainé.
Le voici balafré" couvert de cicatrices.
Le fangeux maculage" au lieu de son placage
Ternit ses bas-reliefs" hier éblouissants.
Chaque élément déplore" une décoration
Le toit son modillon" la corniche son tore
Le fronton son rinceau" le pilier sa volute.
Les dieux et les héros" témoins' de ce que fit
Le Messager divin" depuis sa tendre enfance
Dans la boue' les débris" pitoyablement gisent.
Décapitée Maïa" déchiqueté Chioné
De même' Hersé le Cécropide' Hellé' Phryxos
L’Archer Apollon' Céryx' Junon' Jupiter
Splendides effigies" que l’Art' divin flambeau
Tira de l’Idéal" et de l’Imaginaire.

Et là parmi la ruine" au milieu des gravats
Dépasse une statue" pâle face indistincte
Le nez' le menton cassés' le front éclaté
C’est le Tueur d’Argos" l’idole des Arvernes
Mercure augustinien" l’Actif' l’Infatigable.
Malgré l’affront barbare" apparaît sa grandeur
Le témoin de l’Esprit" que n’atteint la Matière.
Malgré la destruction" le pillage et l’outrage
La Beauté peut survivre" à la haine des hommes
Car un jour l’on verra" sur la déserte cime
La main d’un savant pieux" frémissant d’émotion
Recueillir l’effigie" qui traînait dans la boue.

La Saga de l’Univers - Claude Fernandez - Éditions Sol’Air - © Éditions Sol’Air - 2007